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ROUGES CONTRE BARBARES

Le Spectre Rouge
de 1852

M. A. ROMIEU

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1851

Sommaire

- Préface.

- Le Spectre Rouge de 1852.

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Annexes :

- Encyclopédie Larousse.

- Décret du 2 Décembre 1852.

- Les Journées de Juin.

Préface

L'auteur croit devoir déclarer, avant qu'on regarde une ligne de ce livre, qu'il n'a été écrit dans l'intérêt d'aucune cause. On en sera sûr lorsqu'on l'aura lu.

Quelques journaux ont fait à l'auteur un renom, si peu fondé, de favori dans les hautes régions du pouvoir actuel[1], qu'il lui faut prendre ses réserves, et se présenter, comme il est, en simple observateur de nos temps troublés.

La politique est, pour lui, chose morte. Il ne sait pas même les noms des ministres, à part deux ou trois que les conversations de chaque jour lui ont fait retenir.

Il ne croit ni à l'importance ni à l'efficacité des procédés qu'on recherche, et sur le choix desquels on se dispute pour fonder quelque chose de stable en ce pays, et pour y faire renaître la confiance et la sécurité.

Les PARTIS n'ont, à ses yeux, aucune signification réelle. Il les regarde tous comme illusions de coteries, bonnes tout au plus à faire passer la soirée à ceux qui s'en mêlent.

Telle est son opinion. - Et maintenant, lisez.

Le
Spectre Rouge
de 1852

I.

J'ai publié, il y a quelques mois, un livre dont le retentissement a été considérable ; son titre, l'Ère des Césars, a suffi pour beaucoup de lecteurs, qui jugeant l'ouvrage sur le mot, en ont donné leur avis sans plus d'étude. On a traité de pamphlet commandé un travail tout philosophique, où l'histoire seule est invoquée à l'appui de prévisions prochaines ; où nul parti n'a eu sa part d'éloges, ce qui explique le blâme infligé au livre par tous les partis.

J'annonçais les signes menaçants qui me montraient la guerre civile ; on a répondu que c'était là, de ma part, une nouvelle façon de rire, et que cette sinistre prophétie était une variante de ma bonne humeur.

Plusieurs encore le diront, à propos de ce nouveau livre. En le disant, pas un ne le croira. Car les signes s'accumulent : tout le monde déjà les aperçoit ; une sorte de terreur muette a glissé jusqu'aux os des plus petits et des plus grands ; le Spectre rouge de 1852, qu'on n'a pas voulu voir et que j'évoque encore, apparaît aux regards de la société stupéfaite. Chaque jour et chaque heure voient s'amplifier ses proportions menaçantes ; il semble qu'un grand phénomène de la nature doive s'accomplir et que toute créature en ait l'instinct. Voyez le crédit qui s'arrête, les affaires qui se meurent, les départs qui s'organisent, les agitations qui se manifestent dans les derniers recoins du pays ! On sent enfin le péril, à mesure que l'heure approche, et je veux dire du péril tout ce que j'en crois. Il est immense, et l'on aurait pu l'éviter. Il suffisait, pour cela, qu'un homme eût compris la hauteur du rôle que lui avaient fait sa bravoure et les circonstances. M. le général Cavaignac, après la sanglante victoire de Juin, était, s'il l'eût voulu, le sauveur de la civilisation attaquée ; Paris et la France étaient à ses genoux, bénissant sa rare énergie ; il était maître de ce tigre qu'on nomme la Révolution, et il l'a de nouveau lâché sur le monde. Hélas ! je sais trop bien qu'il est, comme nous tous, le fils de son siècle, et qu'il lui eût fallu une trempe surhumaine de caractère pour rompre violemment avec l'éducation, les affections et les habitudes. Mais quelle grande page il a laissée en blanc pour l'histoire !

Les temps ont marché. Ce n'est plus seulement la guerre civile qui nous attend ; c'est la Jacquerie. Le travail de dépravation s'est fait avec constance, au milieu de cette paix clémente que la répression de Juin avait tièdement imposée aux démolisseurs. Ils ont compris que leur véritable place de guerre était la Constitution ; ils s'y sont retranchés, et ont commencé la sape dont il est impossible d'éviter l'effet. Elle a pénétré sous tous les villages, et tandis que Paris, Lille, Strasbourg et Lyon regorgeant de troupes, peuvent compter au jour du combat, sur un facile succès, le reste de la France est sur une traînée de poudre, prête à éclater au premier signal. La haine contre le riche, là où il y a des riches ; la haine contre le petit bourgeois, là où il n'y a que des pauvres ; la haine contre le fermier, là où il n'y a que des manœuvres ; la haine du bas contre le haut, à tous les degrés, telle est la France qu'on nous a faite, ou, pour mieux parler, que nous avons faite. Et pourtant, en face de cette catastrophe si prochaine, quelle est la voie sérieuse où s'engage la prudence des gouvernements ? On en reste toujours à l'ennuyeuse comédie qui se nomme la politique, et qui se joue, en traînant ses guenilles, sur un théâtre ruiné. Je suis de ceux, et des plus turbulents, qui sifflent à ce spectacle. Pièce et acteurs me font l'effet de revenants, sortis de leur sépulcre pour essayer encore, malgré le linceul, de s'asseoir près de ceux qui vivent.

Je fuis cette odeur de tombeau, cherchant à en effacer jusqu'aux dernières traces. Elles ne nous ont que trop poursuivis dans notre jeunesse, follement livrée à la sorcellerie de paroles qui nous a fait prendre des ombres pour des réalités. Je ne me trompe pas, si j'en crois les sentiments et surtout les instincts que Dieu m'a donnés à ma naissance, seuls débris de fortune que je retrouve en moi, après tant de trésors (pensais-je) accumulés par l'éducation, l'étude, la méditation et l'expérience.

Il y a peu de choses affirmées que je ne nie ; peu de choses niées que je n'affirme. Je crois à des besoins sociaux, non à des droits naturels. Le mot DROIT n'a aucun sens pour mon esprit, parce que je n'en vois, nulle part, la traduction dans la nature. Il est d'invention humaine, et, à ce titre, il m'est suspect. Il varie en tous lieux et en tout temps ; il est sujet à controverse, et se discute, dans ses détails, jusqu'au sein du foyer domestique. On rencontre toujours deux avocats pour chaque cause, et le jugement varie à tel point que nos codes sont devenus des répertoires de contradictions. Aux temps de foi, la règle est sûre : elle est parce qu'elle est. Mais les temps de foi sont passés, et, jusqu'à ce que Dieu les suscite encore, nous nous débattrons dans le faux, dans l'incohérent, dans l'absurde. Je veux, à ce sujet, dire à mes contemporains les plus choquantes vérités qu'ils aient entendues ; non que j'aie l'intention, pas plus aujourd'hui qu'hier, de m'égayer au paradoxe. Ce mot, qu'on m'a jeté à la face, n'a plus de signification. Nos temps ont dépassé, en imprévu, tout ce que la fantaisie de nos pères eût pu rêver de se permettre ; et, sans remonter trop haut, de quel rire insultant n'eût-on pas accueilli, dans les salons de 1847, celui qui aurait annoncé, pour 1852, la candidature de M. le prince Joinville à la présidence de la République française ? Je ne parle pas de celui qui aurait ajouté que le but de cette candidature serait de succéder au prisonnier de Ham ! Ces jours rapides, écoulés entre l'impossible et le réel, semblent cependant si éloignés que nul ne les mesure, et que les monstruosités de la veille deviennent toutes naturelles au lendemain.

On est fait à cela. Rien ne peut plus étonner dans ce grand spectacle. Mais, sans s'étonner, on s'effraye ; et l'on a raison. Tout est si sombre et si funèbre autour de nous, sans que la lumière du refuge se montre, qu'il y a bien motif à terreur. Ce n'est pas moi qui veux la dissiper ; loin de là. Il y en a qui cherchent des solutions : je n'en vois aucune, du moins dans les procédés que l'on poursuit. Des noms, des lois, des mots ; voilà les remèdes que l'on se dispute. Vous verrez bientôt ce que cela pèse devant l'ouragan. Parmi toutes les nouvelles alarmantes qui arrivent des départements, entendez-vous jamais parler de mouvements légitimistes ou orléanistes ? Votre journal vous apprend-il jamais que dans telle petite ville on ait arboré le drapeau blanc, ou promené le buste de M. le comte de Paris ? Non ; mais les tumultes, les vociférations socialistes, les refrains sanguinaires, éclatent sur tous les points, à la moindre fête locale, au moindre motif de réunion publique. Aveugles ceux qui, dans leurs illusions, ne voient pas que là est l'unique symptôme des événements prochains, et que les intérêts politiques n'ont plus de place dans la lutte colossale dont nous attendons le début !

________

II

Super flumina Babylonis… Ils sont là, les prolétaires, qui chantent ce cantique de haine, aux bords du fleuve parisien, aux bords de tous les ruisseaux de France ; ils aspirent au jour où ils tiendront « vos petits enfants et les écraseront sur la pierre[2]. »

L'heure fatale sonnera. Il faudra que le philosophisme assiste au spectacle sanglant dont il a dressé le théâtre, qu'il n'est plus temps, pour lui, de démolir.

En vain s'efforce-t-on, par les ressorts usés de la machine parlementaire, à remettre en équilibre ce qu'on a si violemment secoué : le monde n'obéit pas, lorsqu'on le remue en grand, aux faibles ficelles qui suffisaient à faire danser des marionnettes de salon. Ce jeu constitutionnel, auquel on s'amusait entre soi, tant que dormaient les sombres masses si imprudemment réveillées par l'impatience de quelques joueurs, n'est plus au goût du nouveau public qui regarde. Il lui faut le Cirque de l'antiquité, avec ses lions et ses tigres ; et il entend y prendre part lui-même à titre de gladiateur. Ah ! l'on voulait du nouveau !… on en aura.

Voici ce que j'écrivais récemment :

« Je me représente qu'en 1852, si nul événement ne précipite les catastrophes, on verra se lever la masse prolétaire, dédaigneuse des lois faites et les regardant comme de chétifs morceaux de papier ; marchant à l'urne du scrutin malgré préfets et gendarmes ; déposant son vote interdit, et le tenant pour valide en dépit de l'interdiction ; et disant le lendemain à la France : Voilà la voix du peuple : obéis !

À ce coup de théâtre aboutira le calme qui vous endort. Rien ne peut l'empêcher ; les machines en sont prêtes, et les comparses, dans leur innombrable cohue, attendent le signal. Alors sera compris le véritable sens de la révolution de Février, hâtée à son début, j'en conviens, par une misérable surprise, mais qui avait son germe déjà formé, que les temps ont développé sans mesure. Alors sera comprise aussi l'inévitable nécessité d'une lutte à mort, pour en finir avec ce procès des privations contre les jouissances, puisque Dieu, dans son mépris de nos querelles, n'a voulu leur laisser que ces grossiers drapeaux[3]. »

Ces lignes n'ont que six mois de date, et je les écrivais trop tôt : elles semblaient d'un rêveur. Je les reproduis à dessein, parce qu'elles seront, aujourd'hui, comprises. Mais elles ne disent encore que la moitié de ce qui sera, et je veux compléter leur sens.

J'annonce la Jacquerie, et il faut bien savoir ce que signifie ce mot oublié. En présence du soulèvement prochain des masses, ce n'est pas trop d'efforts que de relire quelques lignes d'un vieil historien du passé. Je cite Mézerai.

1358. - « Près de Beauvais, 20 ou 30 paysans, ayant du vin dans la tête se mirent un jour de dimanche à discourir des affaires de l'État et des misères du temps. Quelques-uns d'entre eux, parlant contre les nobles, se plaignirent qu'ils eussent abandonné leurs princes, qu'ils ne s'opposaient pas aux Anglais et qu'ils ne s'occupaient pas de la délivrance du roi ; que cette espèce d'hommes n'étaient que des monstres qui mangeaient les autres et ne se servaient de leurs épées que pour couper les bras de leurs vassaux. Tous s'échauffèrent si bien par ce raisonnement brutal, qu'ils conclurent sur-le-champ qu'il fallait exterminer les gentilshommes. Une même fureur les transportant, ils s'armèrent sur-le-champ, les uns d'un levier, les autres d'une fourche, plusieurs d'une faux. Ils enfoncèrent le premier château voisin et en tuèrent le gentilhomme, sa femme et ses enfants. Ceux du prochain village s'amassèrent avec eux et allèrent à un autre château, où ils forcèrent la dame, massacrèrent les enfants et brûlèrent le seigneur avec sa maison. Ces séditieux se faisaient nommer les Jacques et leur faction la Jacquerie, du nom d'un Jacques Bonhomme, leur premier capitaine. Enfin, cette troupe se multiplia tellement qu'en peu de temps, en Picardie, en Artois et en Brie, la noblesse abandonna les châteaux. En moins de quinze jours, ils en détruisirent plus de cent. Mais j'aurais horreur de vous dire qu'ils embrochèrent un gentilhomme tout vif et le firent rôtir en présence de sa femme, et que dix à douze d'eux, après l'avoir violée, la contraignirent d'en manger, et enfin la déchirèrent en pièces et en firent curée aux chiens. Il y avait en cette rébellion quelque chose de surnaturel ; la plupart des paysans disaient eux-mêmes qu'ils ne savaient pas pourquoi ils commettaient ces ravages, mais qu'ils voulaient abolir les gentilshommes. Les seigneurs qui se voyaient ainsi chassés par ces hommes de néant, mandèrent leurs amis de Flandre et des pays étrangers, et après avoir mis des troupes sur pied, ils coururent sur les Jacques et tous les jours en défaisaient quelques bandes et en pendaient par douzaine aux arbres sur les chemins. Le nombre n'en diminuait pas pour cela, ils étaient plus de cent mille en divers endroits, et les bourgeois des villes les favorisaient. Dix ou douze mille de ces enragés rôdant vers Paris, les portefaix, les mariniers se joignirent à eux et tous ensemble marchèrent vers Meaux, où le duc d'Orléans, frère du roy, s'était retiré avec la duchesse sa femme, celle du dauphin, et trois ou quatre cents autres damoiselles. Par bonheur, le Captal de Buch et le comte de Foix étant venus en ces quartiers avec soixante lances seulement, offrirent leurs services à ces dames... Le Captal et le comte ne voulant même s'enfermer pour de telles gens, firent aussitôt ouvrir les portes ; mais l'éclat de leurs armes n'eut pas sitôt donné dans les yeux de ces canailles, qu'ils se mirent à reculer tout à coup et à tomber de frayeur les uns sur les autres. Alors on les abattait par monceaux, on les égorgeait comme des bêtes, si bien qu'il en périt ce jour-là plus de sept mille, sans compter les habitants de la première ville, que l'on brûla avec leurs maisons, parce qu'ils étaient de la partie des Jacques. En Picardie, le régent les poursuivit aussi avec tant de vigueur qu'en un seul jour il en tua plus de vingt mille, et le sire de Coucy en fit une telle boucherie par toutes les terres où ils avaient exercé des cruautés exécrables, qu'en peu de temps la France fut purgée de ces séditieux. »

Vous avez lu. Eh bien ! ce ne sont plus trente paysans qui aujourd'hui s'assemblent, par hasard, pour causer des affaires de l'État : ce sont des millions de paysans et d'ouvriers, auxquels le journal et le colporteur jettent, chaque matin, le poison de l'envie, de la rage, de l'exécration, non plus contre le gentilhomme, qui est mort, mais contre le bourgeois qui lui a succédé. Les mêmes horreurs s'apprêtent, mais avec ensemble et préméditation. Il y a partout des mots d'ordre ; pas un arbre, pas un buisson qui ne cache un ennemi préparé au grand combat social. Le premier coup du tocsin sera répété par des échos immenses, et le hasard le frappera. Et, alors, il y aura du bonheur pour le château dont se retrouveront les pierres, à moins que notre stupide société, qui s'agite passivement dans son lit de mort, ne réfléchisse aux moyens qu'employèrent les gentilshommes contre les Jacques, et ne comprenne qu'elle n'est pas de force à lutter par ses propres armes, qui sont la phrase et la loi. Les gentilshommes ne nommèrent pas de commission, qui eût à présenter un rapport ; ils ne se divisèrent pas en bureaux, avec présidents et secrétaires ; ils se servirent de leurs longues et solides lances, et, bardés de fer comme leurs chevaux, ils eurent promptement raison de ces paysans nus, quel que fût le nombre. L'armée actuelle, avec la discipline et l'artillerie, a cette même supériorité sur les masses, et tant qu'elle en usera, son triomphe n'est pas douteux. Mais vouloir, à l'irruption universelle qui s'apprête, opposer des arguments et des procédés législatifs, c'est méconnaître l'impuissance d'assemblées élues, en présence des grands tumultes humains. À peine les assemblées patriciennes y résistent-elles, malgré leurs forts éléments d'indépendance individuelle, malgré l'habitude de respect qui les protège et les enhardit. Voyez le trouble et la confusion qui bouleversèrent le sénat de Rome lorsqu'arrivèrent les lettres impératives de Jules César, campé à Ravenne avec ses vieilles légions ! Il n'y eut pas même de discussion possible[4].

Tout ce qu'on recherchera en ce sens sera vain. On a beau crier aux représentants : Unissez-vous ! L'union de quelques parleurs ne signifie rien à deux pas du Palais législatif. Leur désunion n'a pas plus d'importance, et c'est pitié que d'en prendre souci. Ce n'est pas dans ce lieu désert, dont Paris même ne s'occupe plus, ce n'est pas dans cette salle de carton que se décideront les destins du monde. Le monde est ailleurs ; il est partout. Et si quelque endroit existe où il ne soit pas, c'est là. On y respire je ne sais quel poison local qui fait oublier les choses extérieures ; on y vit d'une existence singulière, qui est la vie des couloirs, de l'hémicycle et des bancs. On s'y émeut, on s'y anime, on s'y passionne dans un ordre d'idées qui n'existe plus en dehors de ces murs. Il y a là des hommes sérieux, qui se donnent des accès de colère pour des incidents comme on en voit dans les salles de billard ; il y a un président qui s'évertue autant que maître d'études l'ait pu faire en présence de collégiens mutinés ; il y a là, enfin, tout ce qui suffit pour qu'on n'y prenne pas garde, après toutes les expériences tentées à l'aide de ce moyen de gouvernement. Bel espoir de sécurité, dans ce chaos qui nous menace ! Ce n'est pas devant ce risible obstacle que le Spectre rouge s'arrêtera.

Quelques-uns, qui partagent mon dédain pour ces procédés vieillis, pensent qu'on pourrait conjurer le péril en se jetant au beau milieu des exigences populaires. Ce serait le mieux, selon ces théoriciens, de s'occuper, au plus tôt, du bien-être des masses, de faire la part grande et prompte à leurs appétits, et de régler si bien les affaires sociales, que tout le monde, ici-bas, fût content. Je serais entièrement de leur avis, s'ils m'indiquaient la manière de s'y prendre. Mais les plus sages calculent comme si nous avions vingt ans de calme devant nous, et leur recette me paraît lente. 1852 est toujours là, qui s'approche, et n'attend pas les réformes qui doivent naître de leurs philanthropiques projets.

Non, toutes recherches, tous calculs, toutes méditations sont sans but sous la pression croissante des temps qui accourent. Il n'y a, dans l'organisation de 1789, nul levier pour soutenir la société qui s'abat. Cette société de procureurs et de boutiquiers est à l'agonie, et si elle peut se relever heureuse, c'est qu'un soldat se sera chargé de son salut. Le canon seul peut régler les questions de notre siècle, et il les réglera, dût-il arriver de Russie.

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III

Aux terribles excès que je prévois, on opposera le changement des mœurs, et l'on affirmera que le peuple est amélioré depuis l'époque de la Jacquerie. Toujours est-il que trois cents ans plus tard, un commentateur de Tacite s'exprimait ainsi : « Je conclus que la multitude populaire est un monstre terrible, furieux, inconstant, léger, précipitatif, paresseux, peureux, désireux de nouveautés, ingrat, perfide, cruel, vindicatif, et, en somme, un mélange de toutes sortes de vices, sans compagnie d'aucune qualité[5]. »

Cela était dit, il est vrai, sous Louis XIV, et l'on pourra soutenir que le peuple, à cette époque, n'avait pas été encore éclairé de ces vives lumières dont la Révolution lui a légué le bienfait. Je me souviens cependant qu'en 1832, à la première apparition du choléra, ce peuple, mieux ÉCLAIRÉ, massacrait les passants dans les rues, lorsqu'un enfant railleur les désignait comme empoisonneurs de fontaines.

Je touche ici à la plus fausse des idées qui aient eu cours dans ce siècle.

Valère Maxime dit, quelque part (et je fais une traduction libre), qu'il va parler d'un temps où, en matière d'ordre social, il s'agissait beaucoup plus d'agir que d'écouter[6]. Notre temps ressemble à celui-là. Nous n'avons que trop écouté, que trop appris, que trop retenu. On sait ce qui nous en reste. Désordre inouï d'idées, lutte confuse d'opinions, mort absolue du cœur ; rire dédaigneux pour les croyances, rire joyeux et moqueur pour le vieux mot vertu.

Telle a été notre éducation, qui date de plusieurs siècles. Et cependant, malgré tout ce que les révolutions nous ont apporté de mécomptes, malgré les abîmes de désappointement où nos doctrines nous ont précipités, malgré les terreurs dernières et les promenades armées de ces bandes immondes qui, suant le sang et le vin, venaient proclamer, dans Paris, le dernier mot du philosophisme ; malgré les effroyables secousses du sol européen tout entier ; malgré les anathèmes lancés à la famille, et recueillis, par les masses, à la façon d'un dogme religieux ; malgré tous ces symptômes d'une réelle maladie de l'espèce humaine, on s'obstine encore à décorer d'un nom glorieux le germe de cette lèpre, et à l'appeler PROGRÉS.

Je m'insurge contre ce mot menteur ; il est de ceux qui abusent les peuples, et dont les peuples ne se défient pas. Il y a des mots de mode, qui ont eu leur empire momentané, menant la génération comme un troupeau d'oies : aristocrate, ultrà, jésuite, juste-milieu, pritchardiste ; il y en a d'autres qui ont obtenu des succès de parlement ou de salon : ventru, guizotin, camarilla, et tant d'autres. Mais tous ces mots naissaient des circonstances ; ils mouraient avec elles et se renouvelaient à chaque besoin d'injure ou de gaieté. Le mot PROGRÉS est plus sérieux, parce qu'il a l'air de n'être pas un mot de parti. Il affecte une physionomie universelle, grave et humanitaire, et se fait respecter comme le cachet providentiel qui doit marquer les temps nouveaux.

Je vais dire, sans nul embarras, le profond dédain qu'il m'inspire ; je devrais même parler de haine, si l'on pouvait haïr un mot.

L'esprit agit en deux sens. Il étudie le monde physique et le monde moral. Dans le premier de ces travaux, sa marche n'a pas de terme : Galilée, Newton, Leibnitz, Watt, Volta, Daguerre, et mille autres après eux, honoreront l'humanité dans ses conquêtes sur l'inconnu. Aux merveilles qu'ils ont inventées, aux mystères qu'ils ont éclaircis, d'autres merveilles, d'autres révélations se joindront encore. Les agents sans nombre de la nature se dévoileront, l'un après l'autre, à nos yeux. Nous ne connaissons que depuis quatre-vingts ans le fluide électrique, cette clef déjà si puissante de tant de phénomènes frappants ; il y a peut-être des millions d'autres fluides aussi actifs, dont l'existence est ignorée : on les découvrira. L'optique nous permettra d'apercevoir, à la surface des planètes, les accidents géographiques de leur sol, sans doute le mouvement et la vie ; le chemin des airs s'ouvrira bientôt à nos voyages, et le temps n'est pas loin où les épigrammes cesseront sur les hardies tentatives dont les aérostats ne sont que le jeu. À la vapeur, grossier moyen de transport, sera substitué, sans frais et sans encombrement, l'emploi de quelque force nouvelle, aidée de procédés mécaniques tellement sûrs, qu'on pourra parcourir aisément cent lieues à l'heure. Au lieu des incendies sauvages qu'il vous faut essayer à chaque jour d'hiver, pour obtenir, dans un coin de l'appartement, cette chaleur douteuse dont nul n'est satisfait, nous trouverons des sources simples de calorique, répandant partout et immédiatement le rapide secours qu'on leur demande.

Tout ce qui est du domaine de la science, tout ce qui s'attaque aux faits naturels, tout ce qui est de recherche ou d'explication, reste sans limite pour les facultés de l'homme. Là, son domaine est l'infini. Il peut s'exhausser dans sa gloire, et s'écrier qu'il marche au PROGRÉS.

Mais, dans l'ordre moral, autre spectacle. Plus l'homme avance dans la longue route de l'examen, plus son guide, qui se nomme la RAISON, l'égare. Il sonde, à chaque pas, des abîmes inconnus, qu'il lui est interdit de jamais connaître.

Parce qu'il a dompté la matière, qu'il a su l'assouplir à ses caprices, à ses fantaisies, à ses besoins, il s'imagine, orgueilleux Titan, qu'il recommencera le miracle de Prométhée. L'ESPRIT reste rebelle à ces expérimentations. Le même cercle tracé par Dieu à l'intelligence humaine, dès l'origine des choses, se tient fixe et raidi contre les audacieuses tentatives dont le symbole a été gravé par Milton. Le Satan du Paradis perdu, c'est l'homme actuel avec ses révoltes insensées, qui l'ont conduit plus loin que l'ange déchu. Satan combattait Dieu : l'homme de nos jours le nie. Où le jette cette ivresse, née des temps nouveaux, dont la bacchanale ne semble pas avoir fini sa ronde, il le voit et le comprend déjà comme individu. Mais à l'état de NATION, c'est-à-dire d'ivres groupés, il hésite à l'apercevoir. L'histoire le sait et le dira. Le terme où nous touchons, c'est le chaos social, c'est la barbarie.

Après les grandes prédications évangéliques, lorsque les flots de hordes, parties de tous les points de l'Orient et du Nord, arrivèrent, comme une immense marée, sur la vieille société païenne, un horizon s'ouvrit au domaine de la pensée.

Ce n'était plus ni le plaisir, ni la joie des sens, ni la gloire éclatante des combats ou de la lyre, ni la soumission au sort fatal, qui devenaient les immuables règles de la vie. Ce fut un monde abstrait qui devint la patrie universelle ; et sur les ruines du passé s'éleva seule pour en terminer l'histoire, la lutte suprême entre celui qui avait une ARME, et celui qui avait une IDÉE. L'idée resta maîtresse ; après mille combats, de l'une et de l'autre sorte, tout aboutit à son triomphe, dans la personne de Charlemagne, qui ne pensait guère à la nature de son succès. Ce grand homme, dont la main ne parvint jamais à pouvoir écrire[7], se fit le serviteur armé de l'autorité pensante. L'épée se mit, en lui, au service de la plume, qui était la parole alors. Mais parole que je ne confonds pas avec la nôtre, née de celle-là. Aux temps que je rappelle, il s'agissait de propagation aussi, mais au sens de l'âme, non des appétits ; il n'était pas question des droits, mais des devoirs ; le Décalogue ne parle que de ces derniers. Ne fût-il pas divin, qu'il aurait raison ; car l'homme, ici-bas, n'a qu'un droit, c'est celui de mourir. La mort est le seul acte qui lui soit propre, en dépit de toute tyrannie extérieure. On peut tout lui ravir, hors cette faculté personnelle. C'est là sa fortune, insaisissable et inaliénable, la seule à l'abri de tout événement, de toute chance, de toute révolution. Il n'en a pas d'autre réelle, incontestable, et, jusqu'à ce jour, incontestée.

Charlemagne, en jetant l'Évangile au camp des Saxons, à l'aide du sabre et de la hache ; en créant le domaine temporel des papes ; en parcourant sous son impériale bannière de foi terrible, plus de contrées que les romans n'en ont pu décrire ; en suscitant la chevalerie dans cette expédition d'Espagne, devenue fabuleuse par la mort de Roland ; Charlemagne, placé entre l'antiquité mourante et le monde nouveau qui naissait, avait fondé le seul système solide, celui de la force appuyant la foi.

De son œuvre, et sans dessein préconçu, sortit le régime féodal. De tous ceux que l'Europe a essayés, c'est encore le meilleur. Je demande, en grâce, à ceux qui me lisent, de ne pas s'insurger à cette proposition, et d'y regarder d'un œil net. Qu'était-ce, au fond, que le régime féodal ? un contrat social, plus solide et plus vrai que celui de J.-J. Rousseau, parce qu'il était réellement passé entre les parties, au lieu d'être créé par l'imagination, comme dans les pages du sophiste de Genève.

Le faible était assuré par le fort ; chacun, de proche en proche, était client et patron ; les idées d'assurance mutuelle que notre siècle a mises en jeu n'auront jamais d'expression plus haute. La société avait ses garanties de guerre, à la manière où nous les voyons chercher dans l'argent. Honte et misère, lorsqu'il nous faut, pour la comparaison des temps humains, mêler l'Arioste à Babœuf, et retomber de la Table Ronde au Luxembourg de 1848 !

Le régime féodal n'a pas duré, parce que rien ne dure, et que le changement est la loi de l'univers. Naissance et mort, tout est renfermé là. Le soleil et les étoiles, dans l'infini de l'espace et dans l'infini des temps, auront leur terme d'existence, et c'est à la recherche du pourquoi de cette grande nécessité, qui veut que tout ce qui a pris vie prenne mort, et que tout ce qui a commencé finisse, c'est là que s'évanouit, pour notre infime espèce, la prétendue faculté qu'on appelle progrès.

L'infranchissable muraille entre nous et les secrets du Créateur, contre laquelle on viendra se heurter sans cesse, indique assez que notre route est bornée, et qu'en dehors de ce qui nous est matériellement utile, dans notre court passage sur un petit globe de neuf mille lieues de tour, il faut renoncer à nous parer du moindre orgueil.

Beau résultat, vraiment, que d'arriver à changer des lois politiques ! Je veux supposer que le socialisme lui-même, qu'on dit l'expression extrême du progrès, soit enfin installé dans son entière puissance. - Il est possible que ce soit. Je dirai même que si la race humaine doit avoir une très-longue durée, ce fait se produira quelque jour. - Admettant cela, je demande si les hommes n'en auront pas moins du sang et des nerfs pour les rendre susceptibles de colère, de luxure, de haine, de rancune et de jalousie ? Je demande même si, dans notre état social actuel, où l'on prétend jouir déjà des bénéfices du progrès, les mêmes passions que nous révèle l'histoire antique ne se retrouvent pas en jeu ?

L'avocat d'aujourd'hui n'est-il pas l'avocat du temps de Valérius Flaccus, à qui son ami Martial conseillait de quitter les lettres pour le barreau, parce que là, du moins, le son des gros sous se fait entendre[8] ? M. Dupin ne dirait pas mieux à quelque jeune poète de la Nièvre.

Et si je cite l'avocat, de préférence à toute autre espèce d'homme, comme exemple de cette éternelle donnée de notre nature, c'est que l'avocat est resté l'expression générale de nos folles tentatives de progrès. Il n'y a pas de petite ville où quelque jeune homme, ayant terminé l'absurde noviciat que nous appelons les classes, ne se rencontre pour arranger des phrases devant trois juges endormis, et pour se faire un renom d'homme habile et disert. Celui-là règne bien vite sur l'entourage de fainéants hébétés qui l'écoutent. Il règne au café, au cercle, à la comédie. Et lorsque arrive une élection de bas ou de haut degré, c'est lui que le public désigne pour représenter le pays. Il en résulte des assemblées dont nous connaissons l'œuvre. Du chaos repoussant des questions, des incidents, des rapports, des amendements et sous-amendements, des répliques, et de toute cette abominable grammaire de Châtelet, qui infecte aujourd'hui les langages d'Europe, est sorti, avec ses longs ravages, l'ouragan qui a failli tout détruire, et que le canon seul a calmé.

C'est pourtant au nom du PROGRÉS que cette foule parlante, discutante, écrivante, appelait à elle tant de malheureux qui l'écoutent encore, et que la cruelle expérience des faits n'a pas encore désabusés ! Pendant ce temps, il y a toujours eu des hommes qui, dans leur obscurité patiente, répétaient, du haut d'une chaire peu entourée, les vraies paroles de la vie : Mortel, tu n'es rien ici-bas ; quoi que tu fasses, quoi que tu tentes, il faudra mourir. La minute qui s'écoule pour toi, dans ce voyage terrestre, se nommât-elle un siècle, aura sa fin. Et à ce moment suprême, ce sera comme si elle n'eût pas duré. Il ne te restera rien de ce que tu as dit, rien de ce que tu as fait. - Où est le PROGRÉS, maintenant ?

Les novateurs ont si bien senti l'impuissance de leur doctrine devant ce grand argument de la Mort, qu'il leur a fallu se réfugier dans le panthéisme, c'est-à-dire dans la négation de l'individu. Ils ont été forcés d'imaginer un être, appelé l'HUMANITÉ, dont chaque homme serait une parcelle, à peu près comme les feuilles sur l'arbre qui les soutient. Les feuilles tombent ; l'arbre reste et vit. Ainsi de l'humanité, qui malgré les morts individuelles, croît et progresse toujours… Cela fût-il vrai, que le progrès n'aurait aucun but, puisque l'heure doit venir où l'arbre lui-même sera réduit en poudre par un de ces cataclysmes dont les gigantesques traces ne sont pas encore effacées. On ne fera jamais passer de telles doctrines dans l'âme des peuples. Chacun se sent individu très-UN et très-personnel. Chacun sent que ses pensées, ses méditations, ses joies, ses amours, ses désespoirs lui appartiennent en propre.

Un seul grand fait a modifié, dans l'homme, non les passions qui seront immuables, mais leur façon d'agir ; c'est le christianisme. Dès son apparition, tout a été changé dans les mœurs humaines : au culte de la forme, à la glorification des sens, succédèrent tout à coup le mépris du monde visible, et l'amour du monde inconnu. L'homme vivait par son corps ; il apprit à vivre par son âme, et à rechercher, en dehors de la volupté terrestre, d'autres voluptés excessives que la terre n'offre pas. L'extase remplaça le plaisir, avec l'interminable joie qu'elle sut donner aux adeptes, et qui ne cessa pas sous l'étreinte des lions de l'amphithéâtre. Ce dut être un étrange spectacle pour ces païens sensuels, qui ne connaissaient que la mort stoïque, de contempler la mort souriante des martyrs. Et c'est alors que put se faire, en deux mots, la définition de ces temps, où le genre humain prit sa nouvelle voie : « Deux amours ont fait deux cités : l'une, terrestre, est née de l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu ; l'autre, céleste, est née de l'amour de Dieu, jusqu'au mépris de soi[9]. » De ces deux cités, l'une est en poussière et ne se relèvera plus. L'autre est éternelle, et quoique désertée, se repeuplera quelque jour. Elle seule donne à ceux qui l'habitent le véritable mot du bonheur : Souffrez. Et si ce mot épouvante les nouveaux venus, le commentaire est facile : Souffrez, parce que rien, ailleurs qu'ici, ne vous consolera de souffrir, et que la souffrance est la condition de la vie. Souffrez ici, car vous y trouverez joie et transport, et qu'en tout autre lieu, vous trouverez désespoir et solitude ; souffrez ici, parce que vous en serez béni, qu'on vous y entourera de gloire et d'amour, et qu'en tout autre lieu, vous serez livré à l'oubli, au dédain, à la raillerie. Souffrez, car c'est ici la richesse, le luxe, l'éclat, l'honneur, tout l'inverse de ce que la souffrance peut donner en dehors de cette cité radieuse !

Je défile la RAISON, entourée de tous ses sectaires qui en ont fait une déesse, faute de pouvoir être sérieusement athées, de trouver jamais pour de pauvres êtres comme nous, destinés sitôt à mourir, à se débattre sans cesse dans les maux et dans les angoisses, un programme de vie plus consolant et plus attractif.

On l'a fui, cependant, mais on y reviendra. Il y a quelque chose au fond de l'âme humaine, qui ne permet pas de si longues erreurs. La grande lumière qui a paru sous le principat de Tiberius César ne s'éteindra jamais. Elle a marqué le seul progrès que l'homme puisse atteindre, c'est-à-dire la science de son néant. M. Proudhon, qui a voulu être l'extrême expression de la révolte contre le monde chrétien, mourra aussi à son tour. Et il ne s'occupera guère, à ce moment sérieux, de ce que signifie le mot propriété. Il comprendra, si Dieu lui en laisse le temps, que ces recherches sont des niaiseries, et que l'arrangement des choses terrestres est de bien peu de prix. Il se dira, sans doute, qu'il vaut mieux les laisser comme elles sont, en quelque temps qu'on vive, puisqu'il n'en résulte jamais qu'un même fait pour chacun : la mort.

L'Europe, en vérité, depuis 1789, ressemble à un collège en révolte. On y a brisé les bancs, éteint les quinquets, battu les maîtres, et après ce désordre ridicule, accompli au nom d'un grief enfantin qu'on a nommé le progrès, on attend, tout penauds et tout contrits, l'arrivée de la force publique à laquelle aboutissent de tels jeux. Il est bien temps qu'elle apparaisse, car les jeux vont devenir sanglants !

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IV

Il y a toujours, même aux plus mauvais temps, un côté gai dans les choses. De toutes les époques historiques, depuis l'irruption des Barbares sur l'empire romain, l'époque actuelle est la plus funèbre. Et cependant celui qui veut rire sous ce ciel chargé d'orages, avant qu'éclate la foudre qui pulvérisera tout, peut encore trouver son quart d'heure, et attendre les événements. Il lui suffit d'aller dans quelques salons et de lire quelques journaux : je veux dire salons et journaux dans lesquels il s'agit de cette plaisanterie qu'on appelle la FUSION DES DEUX BRANCHES DE LA MAISON DE BOURBON.

Il devait se passer quelque chose de ce genre à Constantinople, lorsque Mahomet II assiégeait la ville. Seulement c'était sur des points religieux que s'agitaient les esprits. Nous rions aujourd'hui de cette imbécillité byzantine. On rira, plus tard, de l'aberration parisienne.

Au moment où des millions de prolétaires, enrégimentés par la haine, sont prêts à se ruer sur la société du dix-septième siècle, pourrie par le dix-huitième ; au moment où les principes conservateurs sont éteints jusque dans le moindre hameau ; où l'envie furieuse, soufflée au cœur des masses par les sophistes de tout rang, dévore l'enfant dès son berceau, à l'aspect de la maison qui semble faire honte à la chaumière ; à ce moment de jacquerie prochaine et de sauvagerie imminente, il y a des gens qui se disent : « Mais, vraiment, tout cet immense désordre aurait son terme, si M. le duc de Bordeaux était admis comme roi par M. le comte de Paris ! »

Et ces gens-là, qui ont gouverné le pays, qui passent pour spirituels et capables, se couchent le soir avec peine ou plaisir, selon que la journée a été mauvaise ou bonne dans le sens de leurs essais. Je vais leur dire à quoi sert tout ce temps perdu. À faire que cinq ou six dames de la haute société dînent ensemble, après avoir été quinze ans sans se saluer ; à faire que M. un tel, qui n'allait pas dans certains salons, y puisse entrer avec arrangement préalable et annoncé de cette conquête ; à faire, enfin, qu'un petit acte, ignoré du public, se joue en quelque coin du faubourg Saint-Honoré ou du faubourg Saint-Germain. Et puis, c'est tout. Sortez de l'hôtel où se passent ces niaiseries, vous trouverez, dans la rue, les promeneurs qui n'y pensent guère, et plus loin, les rudes blousiers sans lesquels on compte, et qui entendent, cependant, que l'on compte avec eux.

Celui qui lit ce livre pourrait s'amuser à faire une fusion avec son voisin ; le pays en aurait tout autant de profit qu'avec la fusion DES DEUX BRANCHES. Il m'est impossible de ne pas rire aux éclats, tout seul, et comme dans mon meilleur temps de gaieté, lorsque je vois ces bouffonnes tentatives sérieusement faites au nom du salut social.

Et pourtant, grand Dieu ! nous approchons d'un jour où il n'y aura plus à rire. On trouve, parfois, dans les journaux, de grosses vérités. M. Eugène Pelletan a formulé celle-ci : « Il n'y a pas une femme qui accouche, à l'heure qu'il est, qui n'accouche d'un socialiste[10]. »

M. Thiers n'a pas lu cela dans la Presse, et ne le lira pas davantage ici. Mais à ceux qui le liront, je conseille de méditer cet aphorisme. C'est, à mon avis, la plus exacte représentation de notre temps.

C'est le combat de don Quichotte contre les moulins, que cet essai puéril des arrangements parlementaires contre un danger qu'on méconnaît. On semble croire que la nation française a des goûts ou des antipathies. La nation française n'existe plus. Il y a, sur le vieux sol des Gaules, des riches inquiets et des pauvres avides ; il n'y a que cela. Les pauvres, dressés à l'envie, à la haine, à la soif du pillage, sont prêts à ravager, par leurs millions de bras, les châteaux, les appartements luxueux ; à disperser, dans un long cri, tout ce qui leur paraît une insulte. Ce qui les retient, à cette minute où j'écris, c'est l'armée. Les phrases de rhéteurs seraient sans force devant ce déchaînement qu'elles ont produit elles-mêmes. Ne cherchez pas le remède là où s'est fait le mal. Vous n'avez plus rien à apprendre au peuple : il est à bout d'instruction. Vous n'avez plus qu'à le contenir, à ce moment suprême de la fureur que vous lui avez inspirée. Il est ivre, en ce moment, de vos doctrines et de vos discours ; il n'y a pas à lui parler raison ; il n'est plus en état de vous entendre. Vous vous plaignez de ses folies : pourquoi l'avez-vous soûlé ?

Sa folie sera furieuse, et ce n'est plus de politique, à cette heure, qu'il s'agit de l'entretenir. Il ne sait plus la langue que vous parlez, ô petits hommes qui avez conduit la France, lorsque la France dormait et laissait les salons la représenter. Elle est éveillée aujourd'hui, dans sa masse immense, grâce à vos imprudentes excitations. Vous ne la ferez plus retomber dans sa couche, en prononçant quelques noms.

La France n'est plus cette collection privilégiée qui faisait les législateurs ; c'est, maintenant, la collection de tout ce qui vous épouvante dans Paris, aux jours d'émeute, et celle encore des paysans qui sont prêts à s'armer de faux, comme les Polonais, nos frères, pour saccager la bourgade au nom de l'égalité. Qu'il y ait FUSION, qu'il y ait PROROGATION, qu'est-ce, je vous prie, que feront ces mots ? - car je ne peux pas dire ces choses. - Rien de cela n'a de sens.

Le moment est venu où il faut plus que des mots, plus que des noms, plus que des lois. Le moment est venu où les événements seront les maîtres, et feront, d'eux-mêmes, la besogne inconnue. C'est par eux que surgira le pouvoir sauveur, qui ne s'inventera pas par des transactions stériles. Mais que de lamentables calamités avant ce dernier résultat ! et qu'il est triste d'aller si bêtement à la guillotine, où l'on nous conduit avec des gants blancs !

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V

L'école libérale a procédé d'une étrange façon en ce qui touche de plus près l'application de ses doctrines. Elle voulait, en supprimant les préjugés (c'est-à-dire les croyances qui font la stabilité des États en même temps que celle des mœurs), substituer aux vieilles règles de tradition religieuse, l'abstraite algèbre de ses formules philosophiques. On ne parlait plus, après la Restauration, que de moraliser le peuple, et l'on y mettait le même zèle qu'à lui souffler la haine du prêtre, du jésuite et du confessionnal. Le Dieu des bonnes gens était le Dieu en vogue, et le Curé de Béranger, avec sa bouteille et sa servante Suzon, avait seul droit d'orthodoxie. Quel beau peuple on allait faire là ! C'était miracle, que de voir la raison détrôner le baptême, et créer, d'un seul jet, toute une génération de sages, à laquelle le bon sens (nous a-t-on assez parlé, depuis ce temps, du bon sens des masses !) suffirait comme règle de vie, avec une pointe de gaieté épicurienne, comme distraction. Mais il y avait, dans cette école, de rudes professeurs en morale puritaine, qui prenaient la doctrine très au sérieux. Ceux-là ont voulu que le dogme eût sa traduction pratique, et ils ont dit qu'un peuple ainsi moralisé ne devait pas avoir la moindre chance de sortir des bancs où l'on venait de le parquer. Il lui suffisait, d'après eux, de se savoir moral, quoique pauvre, et c'était une injure à lui faire que d'offrir à ses appétits l'appât d'une fortune qui ne serait pas le prix du travail. Ce sermon a été écouté, applaudi, sanctionné. On a supprimé la loterie.

De toutes les fautes que notre siècle imbécile a commises, la plus lourde est celle-là. J'aurais compris une telle mesure dans un temps chrétien, lorsque la misère avait le paradis comme richesse future ; mais démolir, de la même main, l'espérance du ciel, et l'espérance de la terre ; ôter aux affamés d'ici-bas la lueur du bien-être matériel, lorsqu'on avait éteint pour eux celle de l'autre vie ; c'était une si cruelle stupidité, qu'on en devait voir bientôt la vengeance. Nous la voyons maintenant. L'abolition de la loterie a été une des causes du socialisme, non à l'état de théorie, mais à l'état de sentiment.

Autrefois, lorsqu'un de ces hommes en blouse qui vous effraye par prévision, regardait une riche voiture, passant fringante avec ses deux chevaux ; lorsqu'il apercevait derrière les glaces une femme jeune et jolie, portant un châle dont le prix aurait nourri deux familles pendant l'année entière, il ne se sentait pas pris de haine et d'envie féroce ; il se disait : J'aurai peut-être tout cela demain. Il rentrait dans son froid grenier sans fiel et sans colère ; il y faisait, sans doute, des projets de comparaison pour son luxe à venir ; la femme et les enfants écoutaient son récit, et l'on ne se disputait que sur l'emploi du quaterne[11] prochain.

La pièce de vingt sous perdue avait payé plus d'un bon moment de soirée, et il n'y avait, au lendemain, qu'un nouvel espoir comme conséquence du jour passé. Aujourd'hui, quelles sont les réflexions de ce même homme, lorsque passe la voiture devant lui ? Il se dit : « Jamais cela ne m'appartiendra. Quels que soient mon ordre et mon économie, jamais je n'aurai ce que je vois et ce qui m'insulte.

La prostituée que j'aperçois a gagné cela dans une nuit, et tous mes jours, à moi, s'accumuleront sans que je puisse atteindre au millième de ce luxe ! »

Dites si cet homme ne maudira pas l'ordre social, et si M. Louis Blanc n'a pas dû le séduire ?

L'expérience, qui généralement ne sert à rien, commence pourtant à faire revenir sur cette sottise. On encourage aujourd'hui les loteries, sous prétexte d'œuvres de bienfaisance, ou de projets, tels quels, d'utilité publique. On a raison. Il n'y a pas une pauvre fille, dans Paris, qui n'ait pris un billet des Lingots d'or. Soyez assurés que les ouvriers qui en ont se tiendront fort tranquilles à la première émotion de rue. Aucun d'eux ne voudra compromettre les 400.000 francs qu'il espère. Puisqu'on ne sait plus parler au cœur, qu'on parle du moins aux intérêts.

En supprimant la loterie, on a créé la rage matérialiste qui anime les prolétaires, et qui éclate à toute occasion. Le mot d'aristo, si fréquemment employé dans les tumultes de rues, ne s'applique plus aux classes, mais aux habits. Quiconque a l'air de ne pas mourir de faim, quiconque est à cheval, quiconque descend de voiture, quiconque a des gants aux mains, quiconque tire un louis de sa poche, quiconque a des brodequins vernis, quiconque, pour en finir, n'a ni sabots ni blouse, que celui-là ne s'arrête pas, dans une foule, sur le boulevard du Temple : il serait insulté, fût-il du meilleur sang plébéien. On ne lui demande pas son origine ; on ne veut rien savoir de ses idées ni de sa profession. C'est à son costume, à ses habitudes présumées que l'on s'attaque, tant la haine et l'envie sont devenues, pour ces masses athées, de vrais articles de foi. Je trouve cela très-naturel, et ce n'est pas les masses que je blâme. Je blâme nous tous, qui avons été leurs professeurs. Mais je blâme encore plus l'Université, qui nous a fourni les nôtres.

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VI

Ici un mot sur l'Université. Alma parens, comme disent les maîtres d'étude. Je me souviens des soins de cette bonne mère. Jamais, pendant les dix années que j'ai passées dans ses bras, elle ne s'est enquis ni de mes penchants, ni de mes idées, ni de mes mœurs ; elle s'enquérait, avec grande anxiété, de mes dispositions au thème, au vers latin, à la version grecque ; elle me plaçait, de temps en temps, sur le front, et avec fanfares, des couronnes de chêne lorsque j'avais réussi, en un certain quart d'heure, à écorcher un peu moins que d'autres les langues perdues de la Hellade et du Latium. Elle me contait, en se pâmant d'aise, le meurtre de César, et me faisait pleurer sur les Gracques. Mais, en revanche, à la chapelle, on riait fort. J'avais, pour former mon cœur à la vertu, un aumônier de quatre-vingts ans, presque en enfance, qui, toutes les semaines, se chargeait d'égayer quatre cents drôles, ceux du moins qui ne dormaient pas à ses étranges sermons. Vers la fin de cette éducation, j'eus même le bonheur de trouver, parmi nos surveillants, un aimable garçon qui m'aidait à composer des opéras comiques. Quelques professeurs fréquentaient les coulisses, et le goût du théâtre m'avait pris.

Ainsi dressé, et destiné, sans doute (puisque j'avais été l'élève de l'État), à soutenir tout ce qui faisait la force de l'État, c'est-à-dire les principes monarchiques, religieux, conservateurs, ma logique me poussa dans une vente de carbonari ; c'était la première et la plus naturelle application de ce que l'Université avait bien voulu m'enseigner, ou me laisser apprendre sous ses yeux. J'étais alors élève de l'École polytechnique, où l'on espérait que je pourrais recruter des adeptes. Je dois dire, en passant, que mon essai de propagande me dégoûta du premier coup : je fis des ouvertures mystérieuses, et d'un air de franc-juge, à mon camarade Montalivet, qui eut le bon sens de me rire au nez.

Quoi de plus ? Votre début dans la vie, à vous qui me lisez, n'a-t-il pas été, à peu près, le même ? Et si vous n'avez pas conservé, au fond de l'âme, ce désordre traditionnel d'où sont sorties nos révolutions, n'est-ce pas par le fait d'une seconde éducation qui vous est propre, et qui, au spectacle des événements, a effacé la première ? Vous n'avez pas maudit vos maîtres, car vous n'en avez jamais eu ; mais vous comprenez maintenant qu'il eût été heureux d'en avoir. Au lieu de professeurs ennuyés qui venaient vous faire réciter Tacite, avec le vif désir d'entendre la cloche qui les délivrait ; au lieu de maîtres d'études, pauvres jeunes gens à peine nourris, dont vous rendiez l'existence si dure par vos sarcasmes, que vous seriez heureux d'avoir eu de graves et affectueux instituteurs ! Que vous seriez heureux d'avoir écouté de bons avis, de tendres conseils, sortant de bouches honorées ; d'avoir aperçu toujours, chez ceux qui pour vous remplaçaient la famille, une vocation et non un métier !

Mais il fallait que l'œuvre allât plus loin encore. Ce n'était pas assez que les classes moyennes fussent gangrénées de ce mal nouveau de l'instruction sans éducation ; il fallait qu'il gagnât jusqu'aux villages, et ce fut un des sages du temps que la Providence marqua de son doigt pour accomplir l'extrême désordre. M. Guizot, celui de tous les enfants de la Révolution qui lui a le plus résisté, celui que, pendant dix-huit années, l'opinion frappa comme réacteur opiniâtre, eut la mission de jeter des écoles dans toutes les communes, et de déposer, dans la loi fatale de 1833, sur l'instruction primaire, le germe de cette universelle menace qui gronde aujourd'hui dans le moindre hameau. Nul n'a plus fait, et certes sans le vouloir, pour la rapide propagation du communisme ; une armée d'apôtres obscurs a reçu, de l'État, commission officielle pour prêcher les doctrines de révolte qu'engendre si facilement la pauvreté. Un adversaire a été donné au prêtre à côté de chaque bénitier. Le mal a été prompt et immense. J'ai pu le suivre et en apprécier la marche, lorsque j'étais préfet. Tout le monde aujourd'hui peut contempler la plaie béante, que nulle main ne saurait fermer. Les pouvoirs donnés à l'administration, de suspendre les instituteurs, sont de ces demi-mesures dont l'esprit révolutionnaire est si prodigue : il sent, à chaque pas, le péril de sa route ; il se l'avoue et recule un instant ; mais Dieu lui a défendu de se retourner jamais. Il faut, de toute force, qu'il avance sans cesse, tremblant et consterné, jusqu'au gouffre sans fond où il entraîne les peuples.

Les logiciens hâtifs de 1793 avaient cependant bien montré le but. Allant droit à la conclusion des principes, ils avaient installé, sans plus attendre, la déesse Raison sur l'autel du Christ. Le monde eût du être averti, si jamais il pouvait l'être. Mais après avoir sifflé l'idole, il en a gardé le culte, et c'est en son nom que tout s'est accompli. Dans ce paganisme idéal ont grandi deux générations tout entières ; celle qui naît y joindra le paganisme matériel, et c'est de la déesse Envie qu'elle fait déjà la consécration.

Il y a démence à vouloir fonder le repos chez une nation ainsi dépravée, et il faut dire, avec l'écrivain anglais, qu'un gouvernement n'y serait populaire qu'à la condition d'être le plus mauvais possible[12].

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VII

Je vous dis, ô Bourgeois, que votre rôle est fini.

De 1789 à 1848, il n'a que trop duré. Vous l'avez mené si follement et si vite, que la comédie n'a pas eu son terme, et que le parterre s'est insurgé avant l'heure probable du dénoûment. Vous vous êtes hâtés, en enfants, de revêtir trop de costumes ; vous avez ramassé trop tôt les manteaux d'hermine que vous veniez de jeter par les fenêtres de l'aristocratie ; vous vous êtes rués, en gloutons, sur les armoiries qui vous dégoûtaient chez d'autres ; vous vous êtes chamarrés de cordons et de plaques ; vous avez refait, à votre usage, tout ce que vous aviez détruit à coups de phrases, tout ce que le théâtre, le journal, la chanson, la tribune, vous avaient aidés à démolir. Cet arsenal de vos guerres égoïstes est resté formidable et s'emploie aujourd'hui contre vous. Il est aux mains du peuple, à qui vous en avez enseigné l'emploi.

L'heure approche ; au moment du péril, où sont vos ressources ? Vous vous interrogez les uns les autres : « Qui nous sauvera ? quelle sera la solution ? ne serait-il pas temps de s'unir ? ne pourrait-on trouver des ministres ? quelle loi imaginer ? quels changements seraient utiles dans le personnel administratif ? » O girondins ! ô niais enfants de la rhétorique et du baccalauréat, écoutez donc le tocsin qui brise vos oreilles ; il n'est ni loi, ni ministère, ni préfet, ni garde champêtre qui puisse rien à ce cataclysme imminent. J'ai vu, je m'en souviens, une effroyable inondation de la Loire ; les digues allaient disparaître ; toute la plaine était menacée ; chacun fuyait, vidant le logis de tout ce qui s'en pouvait ôter ; et, au milieu de ce trouble immense, deux gendarmes qui représentaient l'autorité se promenaient à cheval aux bords du fleuve furieux. Ils étaient là, pour y être, et parce qu'on le leur avait ordonné. Ces gendarmes sont l'emblème de la société en présence de l'ouragan qui commence. Pas plus qu'eux, elle n'a pouvoir d'empêcher l'irruption qu'elle observe, et dont elle semble n'être que la sentinelle d'honneur.

C'est que la société, telle que l'a faite la bourgeoisie, n'est pas capable de plus. Cette société-là doit mourir. Sans nul doute, quoi qu'il arrive, la famille et la propriété surnageront dans la tempête ; mais cela seul. L'ordre bâtard établi par les sophistes, à savoir le gouvernement d'une nation par des médecins, des avoués, des maîtres de forges ; les questions de paix ou de guerre livrées à des sous-amendements d'avocats de village ; les grands services publics de l'État mis en question, chaque année, sur la chance d'un chiffre d'assistant au débat ; le repos d'un grand pays livré au caprice de quelques mécontents ou de quelques jaloux ; cela doit tomber en poudre pour ne se relever jamais, du moins de nos jours. Non, Bourgeois, vous ne régnerez plus, ni sous forme de ministres, ni sous forme de juges, pas même sous forme d'écrivains. Il vous faudra renoncer bientôt à cette contrefaçon de l'ancien régime que vous aviez si mal arrangée à votre profit. Comment pouviez-vous espérer que le temps n'arrivât pas, où la comparaison se fît entre vos paroles et vos actes ? qu'on ne se souvînt pas, par exemple, des parlements abattus en présence de votre magistrature inamovible, tellement disposée qu'un Perrin-Dandin de bourgade peut tenir en échec le gouvernement tout entier sur un simple accès de mauvais humeur ? Vous avez inventé la DIVISION DES POUVOIRS, dont vous avez fait une arche sainte, afin de mieux établir votre omnipotence en tous lieux où se trouve un clocher, afin d'abaisser au niveau de vos petits instincts ce grand mot qu'on nomme la Justice. Vous avez voulu qu'un clerc, sorti de vos rangs, pût être toujours inattaquable, et placé en dehors des renversements politiques ; vous avez sacré, en quelque sorte, les fils de votre Église, l'École de droit, inconnue à saint Louis sous son arbre de Vincennes.

Vous avez, ô Bourgeois, souillé de sang le début de votre œuvre. Ce sont vos avocats, Robespierre et Danton, qui ont appris le meurtre au peuple. Leurs successeurs ont achevé cette éducation, qui maintenant est devenue universelle. Mais le peuple s'y prendra, lui, à sa manière. Il fera les choses en grand, sans souci des formes, et surtout sans souci des principes que vous lui avez ôtés. À votre Béranger, tombé dans l'oubli, il a substitué son Pierre Dupont, que vous ne connaissez pas, peut-être, et dont les refrains éclatent chaque jour dans un million de cabarets. C'est le tamtam de la révolte du pauvre, c'est la tempête des appétits soulevés ; c'est ce noir orage qui échappe à vos yeux au milieu de votre demi-luxe, où vous croyez tout voir dans le cours de la rente et dans les articles de vos journaux.

Le peuple sera terrible, soyez-en sûrs. Vous avez semé le gland ; il faut que le chêne pousse. Pleurez, criez, lamentez-vous : peine inutile. La loi des temps est immuable ; ce qui a été commencé doit avoir son cours, et vous voilà bientôt à l'issue de vos œuvres.

Ce qui se passera sera une lutte en dehors de vous, peut-être sur vos cadavres et sur les ruines de vos maisons, mais dont vous ne serez que les spectateurs consternés. C'est entre le délire furieux des masses et la discipline vigoureuse de l'armée que sera le conflit. Vos livres, vos discours, vos Constitutions, vos principes, doivent disparaître évanouis dans la fumée de ce grand combat. Le duel est entre l'ORDRE et le CHAOS. Ce n'est pas vous qui représentez l'ordre, ô bourgeois de la Révolution ! C'est la force seule qui en est le symbole. L'ordre, que vous avez sans cesse attaqué, et qui vous est insupportable dès qu'il paraît s'affermir ; l'ordre que vous n'aimez qu'au jour où vos vanités, vos envies jalouses, vos turbulentes ambitions, vos traditions de collège l'ont mis en si sérieux péril que votre existence même est menacée ; l'ordre social a pour unique et réel soutien, non votre ridicule amas de Codes, mais le fort rempart où l'autorité reste avec son drapeau, ce rempart vivant de robustes cœurs, hérissé de baïonnettes et d'artillerie, qu'on appelle l'armée. Là est l'ordre, et c'est là seulement qu'il vous sera permis de vous abriter. Mais, sachez-le : pour jouir en paix, sous ce pouvoir protecteur, de tous vos biens aujourd'hui menacés, et du doux repos qui commence à vous sembler désirable, il vous faudra jeter au vent, et pour jamais, le catéchisme menteur de vos philosophes. Il vous faudra renoncer à gouverner, ou plutôt à bouleverser l'État, pour apprendre à élever vos enfants et à rendre un peu moins fous et moins malheureux que vous-mêmes.

Entre le règne de la torche et le règne du sabre, vous n'avez plus que le choix. Grâce à Dieu, le sabre du dix-neuvième siècle n'est plus celui de Tamerlan. Il ne sort pas du fourreau pour détruire, mais pour protéger ; il est devenu l'élément civilisateur, car il combat la barbarie. Les Barbares comprennent si bien ce que je vous dis là, qu'ils font tout haut des vœux pour avoir, à eux seuls, cette souveraine ressource. Vous avez lu le dernier manifeste de M. Blanqui ? « QUI A DU FER A DU PAIN. » Il a raison, et ce cri, qu'on a dit sauvage, est le premier éclat de bon sens qui soit sorti d'une bouche française depuis soixante ans. De nos jours, la logique est dans la mitraille. M. Blanqui n'a tort qu'en un point : c'est lorsqu'il donne aux masses, en les supposant victorieuses, le conseil de désarmer les gardes bourgeoises. Eh ! quel inutile souci ! N'ont-elles pas toujours servi à faire la patrouille des révolutions de la rue ?

Dans la grande bataille de Juin, beaucoup de braves gens, sous l'habit de garde national, ont fait preuve d'un vrai courage. Beaucoup ont succombé, beaucoup ont marqué de leur sang ces pavés, qui en seront rougis encore. Mais je m'adresse à ceux-là mêmes qui seraient prêts à reparaître sur le champ de bataille, et je leur demande ce qui fût advenu, si la garde national était restée seule en présence de l'insurrection. Tous répondront que Paris eût été mis à sac et que leurs généreux efforts fussent restés stériles sans le concours des régiments, et de cette jeune Garde Mobile, de glorieuse mémoire !

Je me souviens trop bien de ces temps. Ma compagnie, envoyée à la barrière Rochechouart, comptait à peine le tiers de son effectif ; et je dis trop, si je parle de la première journée. Ce qu'il y avait le plus à redouter pour nous, c'était la maladresse mutuelle de nos rangs. Il nous fallut, dans la rue Lepelletier, où l'on nous avait rangés au point du jour, expulser un de nos camarades, dont le fusil chargé était parti deux fois, tandis qu'on avait l'arme au pied. Ce compagnon dangereux de notre expédition n'était pas le seul qui fût à craindre.

De bonne foi, comment veut-on que des marchands, des banquiers, des notaires, des huissiers, des commissaires-priseurs, deviennent subitement soldats, parce qu'il leur plaît de revêtir un uniforme ? Ce jeu puéril, auquel la bourgeoisie s'amuse, et dont elle s'est servie comme menace, depuis le règne de Louis XVI, vis-à-vis de tous les gouvernements, n'est bon qu'aux jours paisibles qu'il s'agit de troubler ; mais aux jours d'orages populaires, lorsqu'on voit sortir de leurs souterrains ignorés ces hideux visages des révolutions, ces fantômes de septembriseurs, dont la race, pendant si longtemps, nous avait semblé morte, la Garde Nationale n'a plus d'autre but que de les regarder tristement dans leurs orgies, et de les aider au semblant de police que veut établir tout vainqueur après le combat. M. Caussidière, l'organisateur du dernier chaos, celui qui faisait de l'ordre avec le désordre, a obtenu, par la Garde Nationale, l'incroyable majorité qui le fit entrer à l'Assemblée constituante.

Mais cela est oublié, surtout de ceux qui s'y employaient de la plus chaude besogne. Et, en dehors de la Garde Nationale, je sais de grands hommes d'État, qui seraient bien honteux d'être nommés ici, dont la louange était incessante, à ces rudes moments, pour ce bon M. Caussidière.

O Bourgeois ! songez à ces temps ! Peu s'en est fallu qu'ils ne vous engloutissent ; et sans l'heureuse maladresse des escamoteurs de Février, vous eussiez vu de terribles scènes. De ce que vous vous êtes trouvés en présence de gens étonnés, qui n'ont pas eu l'audace de leur victoire, ne concluez pas à une chance pareille lorsque viendra le second bouleversement. Ces hommes sont maintenant avertis, et je vous jure que l'expérience leur servirait.

Renoncez à vos prétentions militaires, aussi bien qu'à vos prétentions législatives. Vous ne pouvez plus rien, par votre part de force, contre le géant qui marche sur vous. Restez dans vos maisons, songeant chacun à ce qui vous intéresse ; à votre magasin, à votre étude, à votre atelier, à votre caisse ; jetez au grenier votre uniforme gênant ; jetez à l'oubli vos opinions d'enfance ; vivez heureux, si vous le pouvez, dans votre intérieur ; riez ensuite, et délassez-vous dans les spectacle et dans les fêtes, et laissez à la véritable FORCE le soin de vous protéger dans vos loisirs.

Cette force est dans l'armée ; là, et non pas ailleurs.

Quiconque espère en dehors de cet unique secours, se trompe. Il faudrait, pour qu'il en fût autrement, que la croyance existât, chez le peuple, aux lois et à la manière dont on les fait. La risible fiction des majorités ne trompe personne. L'arithmétique est un procédé trop sec de gouvernement. Il n'y a moyen ni de s'y séduire, ni de s'y enthousiasmer ; le simple bon sens suffit à ne pas l'admettre. Il faut chercher ailleurs la fin des crises.

VIII

On pense à réviser la Constitution, et c'est là une des grandes inquiétudes. On se demande quel sera l'effet d'un tel acte, s'il s'accomplit. On s'agite, on se préoccupe à ce sujet ; on se demande si une portion de l'Assemblée législative ne se retirera pas, et si, de cette protestation, ne naîtra pas la catastrophe imminente. On pense aussi à réviser la loi du 31 mai, sur le suffrage universel. Je ne sais si l'on pense encore à autre chose, tant je me tiens peu informé de ce mouvement puéril.

Mais tandis que de tels projets se forment, et tandis que des hommes sérieux y appliquent leur intelligence, leur parole et leur habileté ; tandis qu'à côté d'eux une foule de propriétaires, de rentiers, de spéculateurs, observent avec anxiété la stratégie de ces sauveurs connus, il se fait un travail universel qui est bien autre.

Jamais on ne songe, ni dans les salons, ni à la Bourse, ni même au Palais législatif, - si ce n'est sur les bancs qu'on appelle la Montagne, - à ce qui se passe dans les sociétés secrètes ; on croit avoir remporté une grande victoire pour la cause de l'ordre, lorsque la dix-septième ou la dix-huitième Commission d'initiative (je me sers de la langue qui existe) a repoussé une proposition entachée de socialisme. On se frotte les mains après la séance, et l'on se félicite sur l'amélioration des temps.

Mais, à ce moment même, des appels réguliers se font, dans des antres inconnus, où se recrute et s'organise la horde du pillage. La police y a des amis, sans doute ; mais ce n'est qu'à Paris. Les lettres marchent vite, en ce temps de chemins de fer, et la province, où nul moyen de surveillance efficace n'est établi, peut à loisir organiser les soulèvements. Croyez bien que tout est tracé, combiné, arrêté, dans le plan de conflagration que vous verrez mettre en œuvre. Croyez que l'organisation s'est glissée au sein du désordre, et que ni discours, ni votes parlementaires n'y auront d'effet.

Les chefs insensés de la révolte sociale, qui les dévorera, suivent la pente fatale où leurs doctrines et leurs ambitions les ont lancés. Il en est plus d'un, j'en suis sûr, qui déjà comprend, à l'heure où j'écris, que le jeu terrible où il s'est engagé lui coûtera sa tête ; mais tel est l'orgueil humain, qu'il force aux plus extrêmes sacrifices. Peu d'hommes savent avouer tout haut qu'ils ont longtemps vécu dans l'erreur ; à peine sait-on se l'avouer à soi-même. Ces chefs sont, d'ailleurs, débordés. Leur effrayant mot d'ordre, qui est l'APPÉTIT, n'est pas de nature à laisser paisible la foule immense de leurs soldats, rassemblés aujourd'hui dans les derniers hameaux de la France. Il n'y a guère de soumission lente à attendre, après avoir trop alléché les gens que l'on veut commander.

Mais fussent-ils assez puissants, ces chefs, pour contenir la multitude affamée à laquelle ils ont donné un drapeau, rien n'empêchera qu'en 1852 la grande agitation électorale ne mette sur pied, et en armes, toutes leurs troupes. Il n'y aura plus, à ce jour, de paix possible dans le moindre village. C'est là le don fatal que nous a fait, en se retirant, l'Assemblée constituante. Et puisque nous l'avons accepté en le maudissant, il faut le prendre avec tout ce qu'il apporte.

Je crains qu'il n'attende pas jusqu'à la date marquée. Le premier prétexte suffira pour mettre le feu aux poudres. Et c'est alors que vous verrez à quoi servent les commissions et les votes. Il n'en sera plus question à cette heure suprême.

Une autre phase s'ouvrira. La lutte ne se fera plus par les arguments, mais par les armes. Quels que soient les moyens essayés pour sortir de ce dédale où nous a jetés un demi-siècle de folies, le seul qui pourra réussir sera celui qu'on n'invente pas, mais qui naît tout naturellement des circonstances, en quelque pays et en quelque temps que s'accomplissent les désordres humains. C'est la phase militaire, qui suit inévitablement la phase révolutionnaire. L'histoire le dit partout. Et lorsque l'épée entre en scène, la parole s'en va. M. de Lamartine lui-même en convient : « Les camps apprennent à mépriser la tribune[13]. »

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IX

C'est donc l'armée, et l'armée seule, qui nous sauvera. Et quand je dis nous, je ne veux pas dire la société telle qu'elle existe ; je veux dire la société telle qu'elle doit être : la société ne se mêlant de rien que de ses affaires de famille, d'intérêt et de plaisir ; la société vivant au beau soleil de Dieu, vivant des sciences et des arts, qui font sa gloire ; de la guerre, qui fait sa grandeur ; de l'amour, qui fait son paradis sur la terre ; la société oubliant J.-J. Rousseau et renonçant aux folies risibles ou sanglantes dont le honteux règne de Louis XV lui a laissé le legs empoisonné.

Alors peut-être lui viendra-t-il à l'esprit d'admettre et d'adorer Dieu.

Le temps est bon pour que l'armée ait ce magnifique rôle. Plus tard, c'eût été trop tard. La loi du recrutement ne manquerait pas de produire une armée socialiste. Je m'étonne que les chefs du mouvement sauvage n'aient pas la patience nécessaire pour attendre cet infaillible résultat.

J'ai présidé, comme préfet, pendant seize ans, des conseils de révision. J'ai vu, nus et tremblants, cent mille jeunes gens dont pas un seul n'aurait voulu être reconnu propre au service. C'était à qui simulerait le mieux une infirmité, jusqu'au point de dépasser, en invention, les plus invraisemblables scènes de comédie. Il y aurait un volume à faire sur les ruses de ce moment solennel, où la liberté de l'homme est en jeu pour sept ans.

Et cependant, arrivés à la caserne, tous ces malheureux, qu'on croirait poltrons, deviennent, sous l'uniforme, de véritables héros. Le paysan n'est plus le paysan : c'est le soldat ; un être à part, un moine armé, soumis avec abnégation et orgueil à la discipline des cloîtres ; fier, au dehors, de l'habit qu'il porte, et prêt à le faire respecter partout ; ce n'est ni un homme, ni un citoyen, c'est un soldat ; grand nom qui, depuis les débuts de l'histoire, signifie maître des événements historiques. Car c'est à l'épée qu'aboutissent tous les débats humains. On aura beau créer des théories de gouvernement ; on aura beau chercher à éclairer, civiliser, moraliser (je me sers des plus beaux mots d'invention moderne), on ne fera pas que les hommes changent de nature, et qu'un jour ne vienne où, à bout d'arguments, ils ne prennent la force pour juge dans leurs conflits. Là seulement est la conclusion de toute querelle ; soit que la force agisse paisiblement au nom d'un texte, comme dans les assemblées, où le nombre plus grand écrase le plus petit ; soit qu'elle agisse violemment et en son propre nom, comme dans les guerres, où le courage habile établit le droit.

Au milieu des divagations de notre siècle, il est curieux que nul ne se soit insurgé contre ce grand fait de la force, appliqué aux batailles gagnées. C'est qu'en effet, rien n'est plus inattaquable qu'un succès de cet ordre. Il est si naturel et si bien dans la donnée de la création, qu'au milieu même du désordre moral où se plongent nos sophistes, le fait du succès militaire est resté le seul en dehors de toute atteinte.

Ceux-là mêmes qui prêchent le plus haut en faveur de l'humanité savent que la force leur serait nécessaire, et vous savez s'ils en useraient à l'occasion !

Que de caresses n'ont-ils pas faites à l'armée, et quelle joie c'eût été pour eux que d'y créer des prosélytes ! Ils n'ont pas réussi ; les dates d'humiliation étaient trop récentes pour que les baïonnettes expulsées se rapprochassent sitôt.

Mais à mesure que vous renvoyez dans les villes et dans les hameaux des hommes habitués au métier des armes ; à mesure aussi que vous appelez, du sein de ces villes et de ces hameaux, des jeunes gens infectés du principe démagogique aujourd'hui sucé avec le lait, vous arrivez à un double résultat, dont une grande part est déjà faite : bandes aguerries pour les insurrections, - c'est ce qui commence, - et régiments peu sûrs contre elles, - c'est ce qui pourrait être dans cinq ans. - Il faut, en ce pays volcanisé, une armée à part, comme est l'armée anglaise, où le soldat a sa carrière faite pour la vie, sûr d'une retraite à la fin de ses jours, et ne rêvant jamais à son clocher. Il n'y a pas, en Angleterre, un seul homme du peuple qui sache manier le fusil. Quelles que soient, dans un avenir possible, les émeutes rieuses de Birmingham ou de Manchester, quels que soient les tumultes des districts manufacturiers au début d'une crise industrielle, l'apparition d'une compagnie de grenadiers suffira toujours pour rétablir l'ordre. C'est ainsi seulement que la FORCE reste complète, et qu'elle reste aux seules mains des gouvernements. Ils n'en ont que trop besoin aujourd'hui, et doivent le comprendre, s'ils se souviennent d'un passé récent.

Tout est là, en effet. Comparez deux spectacles : allez à l'Assemblée législative, qui représente ce que, dans le jargon actuel, on appelle l'idée ; voyez de haut, - comme est placé le public, - ces crânes chauves ou blanchis qui sembleraient devoir recouvrir la sagesse ; vous n'entendrez que bruit, murmures, exclamations, injures ; vous assisterez à un tel tapage, à un tel échange de lazzis grossiers ; à une séance de collège en rumeur, si peu digne de l'âge et des précédents de ceux qui s'y montrent, qu'il vous naîtra dans l'âme une dédaigneuse tristesse en songeant aux institutions qui nous régissent. Allez, au contraire, visiter quelque citadelle, celle de Vincennes, par exemple, qui est si près de Paris : vous serez saisi, j'en suis sûr, d'un solennel respect, au premier coup d'œil jeté sur cette haute tour, qui représente les vieux temps de force. Elle est encore debout, avec ses solides assises, tout comme au temps de Philippe le Hardi, semblant dire à nos maîtres, les avocats, que leurs paroles ne fonderont rien d'aussi durable. Puis pénétrez dans les cours, et voyez cette longue file de canons, ces rangées de boulets, ces gardes silencieuses qui veillent aux portes, ces saluts de chacun aux chefs qui passent, cet ORDRE enfin, dont vous avez tant soif aujourd'hui dans la vie civile, parce que le désordre s'y est jeté avec votre éducation, parce vous en souffrez et que vous en prévoyez l'épouvantable suite ; et si vous faites, de sang froid, la comparaison, vous conviendrez que le faux est chez vous, et le vrai dans la forteresse. Le vrai, c'est le simple, partout et toujours. C'est l'unité qui est l'extrême du simple ; l'unité, fondement du dogme catholique, fondement du dogme militaire. Aussi, l'Église et l'armée ont-elles résisté à tous les assauts de la démence furieuse suscitée par le dogme absurde de la Raison. L'une et l'autre vivent encore et se rajeunissent, au milieu du vaste cimetière où s'entassent les systèmes politiques et philosophiques, dont s'épuise, j'en ai l'espoir, la dernière génération. Oh ! Foi et Force, leviers uniques des mouvements humains, il n'y a rien, en dehors de vous, que d'impuissant et de factice !

Mais la Force, dans nos temps, est seule maîtresse. On peut toujours l'organiser, quelles que soient les croyances et les mœurs. C'est elle qui décidera toutes choses, jusqu'à la fin de ce siècle maudit.

Si rapide que soit la secousse imminente, si long que puisse être son prolongement, un jour viendra où, même en l'absence d'une armée, vingt hommes se réuniront pour résister aux cannibales du monde nouveau. Ces vingt hommes seront déjà une armée, comme le fut, il y a soixante ans, le premier rassemblement vendéen.

On comprend la suite.

Le combat matériel, en dépit des idéologues, ne cessera jamais d'être la suprême sanction des faits.

Le fléau passager de l'IDÉE se dissipe à l'immuable apparition de la FORCE. Et, à voir ce qui arrive en nos jours, où l'idée libérale accomplit son dernier ravage, on a plaisir à se rappeler les paroles de M. de Calonne, écrivant à la noblesse française, au moment où commençait cette guerre gigantesque de la Révolution : « Ne vous dissimulez pas qu'il existe une lutte terrible entre l'imprimerie et l'artillerie. Quel en sera le fruit pour le triste genre humain ? La Providence, qui place à la même date ces deux inventions dans la marche des temps et des événements, a-t-elle voulu proportionner le remède au mal ? »

Il est bien temps que le remède opère ! et ce sera justice. Je ne regretterai pas d'avoir vécu dans ce triste temps, si je puis voir, une bonne fois, châtier et fustiger la FOULE, cette bête cruelle et stupide, dont j'ai toujours eu l'horreur. Regardez-la, quel que soit son costume, blouse ou habit, quelles que soient ses mœurs, son éducation, ses croyances : dans un salon, où l'on se presse pour voir et entendre mieux ; à la porte d'un théâtre où l'on veut entrer ; dans le théâtre même, où l'on s'impatiente, et où l'esprit consiste à frapper des pieds et des cannes, sur le parquet, dans cet ignoble rhythme qui est devenu presque historique, sous le nom de l'air des lampions ; sur la place publique, à l'aube du jour, lorsqu'une tête va tomber sous le couteau de la guillotine ; regardez la foule, partout et toujours, et vous la trouverez, non pas folle, mais imbécile, mais brutale et niaise à faire vomir. Il semble, dès que les hommes sont réunis en masse, qu'un magnétisme de bêtise et de vulgarité se développe, et change subitement d'honnêtes gens en crétins ou en furieux.

Et la foule gouverne, et c'est son gouvernement qu'on a voulu !

Ce ne sera pas trop, pour la revanche de nos déceptions, que d'assister à la déchéance de ce sale empire, proclamé par nous tous dès notre jeunesse, et dont nous avons été les prétoriens ; pauvres soldats aveugles, dressés au tapage et à la révolte par ceux qui devaient nous enseigner l'ordre et la soumission. Mais, hélas ! ils avaient reçu ces leçons eux-mêmes de nos grands-pères, les amis de J.-J. Rousseau ! Ce rhéteur sinistre n'eût pas fait grand mal, s'il n'eût écrit que son Discours sur l'inégalité des conditions, pour prouver que la vie sauvage est l'Eden réel. Mais sa malfaisante éloquence n'a que trop tôt quitté ce thème d'écolier paradoxal ; elle s'est jetée, avec le pressentiment du succès, à la conquête des idées contemporaines. Nul, à coup sûr, ne se fût empressé, sur la parole du Génevois, à retourner dans les forêts pour y vivre de glands et d'herbes. Mais lorsqu'il vint à parler d'un CONTRAT SOCIAL, dont la tradition se retrouvait en son esprit, et qu'il en formula, dans ce style sonore dont le retentissement n'est pas éteint, les menaçants articles ; lorsqu'il vint lire à la société assoupie l'acte étrange et nouveau qui refaisait un droit perdu, ce fut un cri universel, et un universel bouleversement à la voix de ce terrible notaire.

Un siècle entier s'en est suivi, dont nous savons la démence. Il a fallu l'épreuve de ces théories appliquées, pour qu'on ose aujourd'hui proclamer leur néant. La minute est proche où le fatras philosophique ira rejoindre, dans la poussière des bibliothèques, le fatras scolastique dont s'émerveillèrent nos aïeux. La minute est proche où les derniers prêcheurs de cette doctrine pourront s'écrier, comme Job : « J'ai parlé, en insensé, de choses qui dépassaient mon intelligence ! »[14]

Nous verrons donc, je l'espère, finir les saturnales au milieu desquelles nous sommes nés. Ce sera dans des flots de sang que se fera cette rénovation de la marche humaine. Mais le mouvement sera prompt, si terrible qu'il doive être. Bientôt surgira le chef pour apaiser ce tumulte immense. Qui est-il, et peut-on le deviner ? Non ce soir, ni demain sans doute ; mais il existe, et nous l'avons vu passer : quelqu'un de ces hommes devant lesquels on se range, et devant lesquels, par instinct, on se lève, comme était Stilicon, obscur encore avant que Claudien le chantât[15].

Quel qu'il soit, son rôle est simple. Prendre, d'une main ferme, la dictature la plus absolue, et se substituer à tous les textes qui nous ont gouvernés depuis soixante ans.

Car ce sera plus tard une curieuse recherche pour les penseurs, que d'expliquer comment, dans la durée d'un siècle, l'Europe s'est prise de soumission et de respect pour des morceaux de papier. L'histoire, depuis les premiers âges, nous avait montré, jusqu'à nos jours, l'homme dirigé par l'homme ; quelque héros, quelque sage, quelque habile, avaient gouverné les nations. La conquête armée changeait, par intervalles, les distributions d'empires. C'était enfin l'intervention humaine qui agissait sur les événements. Nous venons d'assister à un étrange phénomène : ce n'est plus l'homme qui agit ; c'est une phrase imprimée, qu'on nomme Loi, après qu'elle a subi toute sorte d'injures hautement proférées par la moitié - moins un - des législateurs.

Donc, à l'heure suprême du combat, que l'imprévu peut faire sonner demain, celui qui sera vainqueur, - qu'il soit le chef actuel de l'État, ou qu'il naisse des circonstances, - celui qui, survivant à la mort des chefs, ou faisant mieux qu'eux-mêmes, général, colonel ou sergent ; celui, enfin, qui le dernier essuiera son sabre après l'insurrection terrassée, pourra marquer sa place dans la liste des hommes utiles et grands. Il n'aura qu'à souffler sur le château de cartes de 1789, et à dire, à son tour : L'ÉTAT C'EST MOI. Celui-là pourra donner à la France le seul gouvernement qui lui soit propre, et le seul qu'elle puisse aimer, en dépit des rhéteurs qui l'en ont détournée à leur usage ; c'est-à-dire un gouvernement fort, brillant, glorieux, comme furent ceux de Louis XIV et de Napoléon. La France aime l'éclat, la splendeur, les récits guerriers ; elle aime les fêtes militaires, et le souvenir lui reste des vieux carrousels. C'est en vain qu'on a voulu l'assouplir au piteux régime des discours et des scrutins. Le peuple s'y est si peu fait qu'il en a honte, et qu'au nom de cette honte les démagogues ont soulevé, chez lui, les violents courroux que vous voyez contre l'ordre social.

Celui qui surgira dans la grande crise prochaine sera indigne de l'immense rôle dont Dieu l'aura pourvu, s'il laisse subsister un seul des éléments désorganisateurs sous l'action desquels nous vivons depuis notre enfance. Tout est à briser, tout est à refaire dans l'arrangement monstrueux de nos institutions. À partir de la Révolution de Juillet, l'effort des législateurs s'est appliqué, sans réserve, à créer l'impossibilité de gouvernement. Le soin particulier des lois a été de veiller au sort de ceux qui auraient dessein de s'insurger contre elles. Il fallait bien que le succès des révoltes s'inscrivît, comme un droit nouveau, à côté des vieux droits conservés, et l'on ne pouvait pas laisser, sans consécration officielle, la conséquence de ce mot célèbre : « Quand la tyrannie est à son comble, l'insurrection est le plus saint des devoirs. » Le premier membre de cette phrase s'interprète au goût du lecteur, et le second est devenu un aphorisme.

On a donc recherché, avec tendresse, tous les moyens de ne pas gêner ceux qui songeraient, par la parole, par l'écrit, par l'action même, à renverser l'ordre établi. Ce fut à qui trouverait la plus sûre garantie, bien inscrite et bien formulée, contre la sévérité du gouvernement vis-à-vis des conspirateurs. Il semblait qu'un pays devait se croire perdu s'il n'avait pas, à toute heure et à tout instant, ses aises de révolution possible. Ce système insensé a été poussé plus loin encore. On s'est pris de mansuétude pour les voleurs et les assassins ; on a réformé le Code pénal, et l'on a lancé des inspecteurs dans toutes les prisons, avec mission de veiller avec soin au bien-être de la détestable race qui s'y trouve. J'ai vu, dans les maisons centrales de détention, des habitués qui, à l'aide d'un petit crime, s'y faisaient remettre à chaque hiver, pour jouir des bienfaits du régime nouveau.

Rien ne m'a plus frappé, dans mes réflexions sur le faux des idées libérales, que cet extrême résultat de leur application ; et elles doivent mener là.

Je bénirai le Ciel si j'assiste au jour où cet échafaudage de folies s'écroulera. Si je puis voir enfin balayer cette fange dans laquelle se roule orgueilleusement notre génération ; voir tomber, d'un seul coup, la chaire menteuse de nos philosophes, et les tribunes de tout rang qu'ils ont édifiées, je chanterai, de grand cœur, et dussé-je en mourir, le cantique de Siméon.

Car, ce jour-là, le monde sera revenu d'une grave maladie, et tellement grave qu'il y périrait, si Dieu n'était toujours là pour le guérir à temps.

Ne désespérons pas. Il sera versé du sang et des larmes. La misère étendra son froid réseau sur le peuple abusé ; il sera violent, plein de désespoir et de rage ; il sera châtié durement, et par la famine et par les boulets ; les bourgeois consternés subiront la crise, avec ses phases diverses, sans rien comprendre à ce tumulte colossal qui les décimera ; mais à la fin de ces grands désastres, qui, je le crois, peuvent être courts, un pouvoir fort s'établira pour ouvrir l'ère nouvelle de l'autorité. Elle passera dans beaucoup de mains, qui se la disputeront par les armes. Mais, au moins, les sophismes ne seront plus en jeu, avec leurs terribles conséquences ; il vaut mieux voir le peuple se battre pour César que pour les ateliers nationaux.

 

FIN.

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Annexes

ENCYCLOPÉDIE
P. LAROUSSE - 1875

Romieu (Auguste), administrateur, littérateur et auteur dramatique, né à Paris le 17 septembre 1800, mort le 16 novembre 1855. Fils d'un général de l'Empire, il fit ses études au collège Henri IV, puis fut admis à l'École polytechnique, d'où il sortit un des premiers de la promotion. Fort intelligent, très-spirituel, aimant la vie libre et joyeuse, la table et les plaisirs, il résolut de rester à Paris et chercha à se faire un nom dans la littérature théâtrale. Romieu débuta, en 1823, par un agréable vaudeville, le Bureau de loterie, en collaboration avec son ancien camarade de collège Mazères, puis il fit jouer un certain nombre de pièces, la plupart en société avec de Wailly, Rougemont, Bayard, Langlé, Royer, etc. Dès cette époque, il commença à se faire connaître dans un certain monde par ses petits soupers, ses folles aventures, ses bons mots et ses plaisanteries plus ou moins extravagantes. En même temps, cet intrépide viveur, que ses intimes appelaient Coco Romieu, écrivait des petits livres, tels que le Code des honnêtes gens (1825) ; le Code gourmand (1827), où il faisait preuve d'une compétence toute particulière ; le Code civil, manuel complet de la politesse (1828) ; le Code de la conversation (1828). Très-lié avec Alphonse Royer, il fit la connaissance du docteur Véron, qui en parle longuement dans ses Mémoires d'un bourgeois de Paris, et fut mis par eux à la tête de la rédaction du Messager, qu'ils venaient d'acheter (1830). L'année suivante, il résolut de suivre la carrière administrative, et, grâce à son ancien condisciple, M. de Montalivet, il devint sous-préfet de Quimperlé. De là il passa successivement à la sous-préfecture de Louhans, à la préfecture de la Dordogne (1833), à celle de la Haute-Marne (1844) et enfin à celle d'Indre-et-Loire. Dans ses fonctions administratives, Romieu n'avait point dépouillé le vieil homme ; il mettait consciencieusement en pratique son Code du gourmand et savait égayer les ennuis de la vie de province par des farces dignes d'un gamin de Paris. La révolution de 1848 fit rentrer dans la vie privée ce trop joyeux préfet, qui devint l'ennemi implacable de la République naissante. Voyant poindre la fortune de Louis Bonaparte, à l'exemple de son ami Véron, il se jeta de ce côté et employa ses loisirs à écrire des pamphlets contre les hommes et les institutions de Février. Il débuta par une brochure, intitulée : De l'administration sous le régime républicain (1849, in-12), qui passa inaperçue, puis il fit paraître l'Ère des Césars (1850, in-8°), livre à sensation, dans lequel il s'attacha à montrer qu'on devait aboutir nécessairement au césarisme. Cet écrit, vigoureusement attaqué par la presse républicaine, fit du bruit et, bientôt après, Romieu, dans le but d'épouvanter la France, d'effrayer les poltrons, de faire croire à la nécessité d'un coup d'État, lança le Spectre rouge (1851, in-8°), dont l'effet fut déplorable et dont nous parlerons ailleurs (v. SPECTRE ROUGE). Lorsque l'auteur de l'attentat du 2 décembre 1851 eut assis son despotisme sur la terreur, il s'empressa de récompenser le beau zèle de Romieu en le nommant directeur général des Beaux-arts (1852). L'année suivante, la direction des Beaux-arts étant passée dans les attributions du ministre d'État, l'auteur du Spectre rouge se démit de ses fonctions et fut nommé, en compensation, inspecteur général des bibliothèques de la couronne. Atteint d'une affection de poitrine, Romieu était gravement malade, lorsqu'il apprit la mort de son fils, tué à l'attaque de Malakoff. Il mourut peu après à Nyons, chez une de ses parentes. Louis-Philippe l'avait nommé, en 1838, officier de la Légion d'honneur. Outre les ouvrages précités, on lui doit les pièces suivantes : Pierre et Thomas Corneille, à-propos en un acte (1823), avec Monnières ; l'Adjoint et l'Avoué, comédie en deux actes (1824), avec de Wailly ; Apollon II ou les Muses à Paris, vaudeville en un acte (1825), avec Langlé ; Henri V et ses compagnons, drame en trois actes (1829), avec Alphonse Royer, pièce qui eut beaucoup de succès aux Nouveautés ; Merinos Beliero ou l'Autre école des vieillards, parodie en cinq actes et en vers du Marino Faliero, de Delavigne (1829), avec Rougemont ; Molière au théâtre et le Dernier jour des folies, pièces en collaboration avec Bayard ; le Neveu de monseigneur, vaudeville, avec Bayard et Sauvage, etc. Il a publié, en outre : Proverbes romantiques (1827, in-8°) ; le Mousse, roman voilier (1833, in-8°), sous le pseudonyme d'Augusta Kernoc ; Scènes contemporaines, par la vicomtesse de Chamilly (1827-1830), avec Loève-Veimars ; Fragments scientifiques (1847, in-8°), recueil d'articles publiés dans le journal la Presse en 1845 et 1846. - Sa femme, Mme Marie Romieu, née à Langres en 1825 et qui épousa en secondes noces Philarète Chasles, est l'auteur de quelques ouvrages : Des préjugés (1854, in-8°), sous le nom de Marie Sincère ; la Femme au XIXème siècle (1858, in-8°) ; Des paysans et de l'agriculture en France au XIXème siècle (1865, in-8°), ouvrage qui lui a valu une médaille d'honneur de la Société d'encouragement en 1866.

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Spectre rouge de 1852 (Le), par A. Romieu (paris, 1851, in-12), plusieurs fois réimprimé.

Cette brochure fameuse, lancée comme un épouvantail pour préparer le coup d'État, les proscriptions, la prise de possession de la dictature, comme l'avait été peu de temps auparavant un autre factum du même auteur, l'Ère des césars, a laissé son nom à une manœuvre politique toujours employée avec succès, et qui consiste à effrayer les populations par la perspective d'excès révolutionnaires, afin de les engager à se jeter dans les bras du despotisme ; en un mot, agiter le spectre rouge, c'est faire un appel grossier à la peur, c'est exploiter l'effroi au profit des ambitions dynastiques et des factions réactionnaires.

La couleur donnée à cette entité, à cette chimère était une allusion, personne ne l'ignore, à la légende des Rouges, à la République rouge ou radicale.

En 1851, l'opinion était émue, inquiète ; on s'attendait chaque jour à un coup d'État, soit du président de la République, qui bien évidemment voulait garder le pouvoir, soit des coteries monarchiques qui dominaient à l'Assemblée. D'un autre côté, la mutilation du suffrage universel par la loi du 31 mai avait retranché trois millions d'électeurs, et l'on redoutait de voir ces citoyens injustement dépossédés envahir les comices électoraux lors du renouvellement des pouvoirs publics en 1852. Il est certain que le parti démocratique attendait cette échéance pour prendre sa revanche sur la réaction de toutes couleurs et restaurer la République avilie.

C'est au milieu de cette attente et de ces appréhensions que Romieu lança, comme un brûlot, sa brochure dans le public.

On connaît ce personnage, à la fois sinistre et burlesque, usé par une vie de débauches dont le retentissement est venu jusqu'à nous, fameux comme mystificateur, et qui avait noyé dans toutes les espèces d'intempérance des facultés certainement très-remarquables. Sa nomination comme sous-préfet, puis comme préfet, avait été un des scandales du règne de Louis-Philippe. La République devait écarter ce Trimalcion, car son honneur est d'être condamnée à respecter la morale, et cette espèce d'individus ne trouve sa place naturelle que dans les monarchies.

C'était une recrue précieuse pour le prétendant, un de ces hommes finis, démonétisés, comme César en rassemblait autour de lui. Romieu, qui ne croyait à rien qu'à la fortune, trouva sans doute plaisant de terminer sa carrière par une dernière et fructueuse mystification. Il inventa le spectre rouge.

On ne trouve pas ces choses-là tous les jours. Déjà il avait publié des feuilles et des factums d'une violence inouïe, et qui étaient autant d'insultes à la raison, au droit et au bon sens ; c'est dans le Spectre rouge qu'il donna sa formule définitive et qu'il dit son dernier mot. On jurerait le cauchemar d'un aliéné, et cependant remarquez que les hommes de décembre ont suivi ce catéchisme de la tyrannie autant que l'état de la société leur a permis de le faire.

Le but, nous l'avons dit, était d'épouvanter la masse du public, pour la dégoûter de la liberté, de la démocratie, et préparer les voies au despotisme césarien, en présentant le tableau d'un prétendu cataclysme social.

« J'annonce la Jacquerie ! dit ce scribe effronté ; les prolétaires sont prêts ; embusqués, jusque dans le dernier village, la haine et l'envie dans le cœur, ils vont déborder sur la société, égorger les riches, les bourgeois, tous ceux qui possèdent quelque chose, promener la torche partout, piller les propriétés, écraser les petits enfants sur la pierre, replonger le monde dans la barbarie et le chaos, » etc.

Contre cette irruption, il n'y a pas à songer à la loi, il n'y a qu'à employer les moyens des seigneurs contre les Jacques du XIVème siècle, c'est-à-dire l'extermination.

« Cette société de procureurs et de boutiquiers est à l'agonie, et si elle peut se relever heureuse, c'est qu'un soldat se sera chargé de son salut. Le canon seul peut régler les questions de notre siècle, et il les règlera, dût-il arriver de Russie. »

Le droit, la justice, le progrès, la liberté, etc., sont des chimères funestes ; il n'y a qu'une chose qui soit légitime et sacrée, c'est la force ; seule elle est le symbole de l'ordre. Depuis 1789, la société est comme une classe en révolte : il est temps qu'un pouvoir sauveur vienne la mettre à la raison.

Les pauvres demandent des améliorations sociales : c'est par envie, par rage matérialiste. C'est nous, d'ailleurs, qui leur avons communiqué ce virus avec nos stupides doctrines de philanthropisme et de philosophisme. M. Guizot, par la loi « fatale » de 1833 sur l'instruction primaire, par la fondation d'écoles dans toutes les communes, est un de ceux qui ont le plus fait pour la propagation des doctrines antisociales. Il a donné ainsi « un adversaire au prêtre à côté de chaque bénitier. »

La seule amélioration sociale, ce serait de rétablir la loterie, que notre « siècle imbécile » a supprimée, et qui donnait au misérable le frein de l'espérance.

Le meilleur régime était le régime féodal, le règne des forts. La foule stupide est faite pour obéir et se résigner à des souffrances nécessaires. Dans les siècles de foi, elle acceptait docilement son sort. Mais les sophistes ont tout gâté. Ce qui seul peut remplacer la foi aujourd'hui, c'est un pouvoir formidablement armé, qui contienne, et qui écrase, au besoin, les masses révoltées.

Bourgeois, votre rôle est fini ; depuis 1789, vous avez gouverné la société, et vos inepties libérales ont contribué à déchaîner la populace, qui se prépare à vous dévorer. Si vous voulez éviter le pillage et l'extermination, il ne vous reste qu'à vous abriter derrière un sauveur, un césar, mais en abdiquant toute prétention à vous occuper des affaires du pays.

« Entre le règne de la torche, et le règne du sabre, vous n'avez plus que le choix. »

C'est à l'épée qu'aboutissent tous les débats humains. C'est la force militaire qui doit régler tous les conflits. « Le fléau passager de l'Idée se dissipe à l'immuable apparition de la Force. »

« Il est bien temps que le remède opère ! et ce sera justice. Je ne regretterai pas d'avoir vécu dans ce triste temps, si je puis voir, une bonne fois, châtier et fustiger la Foule, cette bête cruelle et stupide dont j'ai toujours eu l'horreur.

Nous verrons donc je l'espère, finir les saturnales au milieu desquelles nous sommes nés. Ce sera dans des flots de sang que se fera cette rénovation de la marche humaine… Bientôt surgira le Chef pour apaiser ce tumulte immense… Quel qu'il soit, son rôle est simple : prendre d'une main ferme la dictature la plus absolue, et se substituer à tous les textes qui nous ont gouvernés depuis soixante ans. »

Donc, à l'heure suprême du combat, qui peut sonner demain, celui qui sera vainqueur, « qui le dernier essuiera son sabre, pourra marquer sa place dans la liste des hommes utiles et grands. Il n'aura qu'à souffler sur le château de cartes de 1789, et à dire à son tour : « L'État, c'est moi ! »

D'ailleurs, il serait indigne de son rôle providentiel s'il n'anéantissait pas tous les éléments désorganisateurs, c'est-à-dire tout ce qui pourrait rappeler la liberté et en redonner l'envie.

Ce factum insensé se termine ainsi :

« Ne désespérons pas. Il sera versé du sang et des larmes. La misère étendra son froid réseau sur le peuple abusé ; il sera violent, plein de désespoir et de rage ; il sera châtié durement, et par la famine et par les boulets ; les bourgeois consternés subiront la crise, avec ses phases diverses, sans rien comprendre à ce tumulte colossal qui les décimera. Mais, à la fin de ces grands désastres, un pouvoir fort s'établira pour ouvrir l'ère nouvelle de l'autorité. Elle passera dans beaucoup de mains, qui se la disputeront par les armes. Mais, au moins, les sophismes ne seront plus en jeu : il vaut mieux voir le peuple se battre pour César que pour les ateliers nationaux. »

Cette esquisse et ces quelques citations donnent une idée suffisante de cette œuvre d'un scribe vénal et d'un cerveau dévoyé. Il serait superflu de commenter et de réfuter de pareilles théories, encore plus ineptes et plus honteuses qu'elles ne sont infâmes. Le bon sens et le mépris public en ont fait justice. Mais on est bien obligé d'en tenir compte, au moins historiquement, quand on songe que le rhéteur et le bouffon sinistre qui les émettait était un familier de l'Élysée, et qu'elles ont trouvé en partie leur application dans les fusillades et les proscriptions de décembre et dans le rétablissement du pouvoir absolu.

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L'Empereur National-Socialiste NAPOLÉON III

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Affiche placardée dans Paris, lors du coup d'État du 2 décembre 1851 ; la résistance à ce "rétablissement" du suffrage universel (dans le cadre de l'état de siège) fit plusieurs centaines de morts dans les jours qui suivirent, tant à Paris qu'en province...

Les Journées de Juin 1848

(…)

Enfin, pour donner du cœur à l'ouvrage aux soldats de la civilisation et de Dieu, rien ne fut d'un usage plus efficace que le récit des « atrocités » mises au compte des ouvriers en armes. Ces abominations ne sont pas faites pour surprendre un homme, par exemple, comme le marquis de Normanby, lequel écrivait, le 24 : « Le faubourg Saint-Marceau est au pouvoir de ses habitants, gens de la pire espèce. » Nous avons déjà vu Marrast et Sénard insister sur l'article « pillage », premier point, comme on sait, du programme des insurgés, et l'on n'aura pas oublié l'adjonction faite au Moniteur, le 16 mai, afin d'éclairer la province sur les « deux heures de pillage » réclamées par les amis de Barbès. Cette fois-ci de même, la police de Recurt poussera le zèle jusqu'à produire - au sens le plus concret du mot - des pièces à conviction décisives : on avait trouvé, on exhibait parmi les trophées conquis sur certaines barricades, des drapeaux portant cette devise : « Vainqueurs, le pillage ; vaincus, l'incendie ! » On ne le leur faisait pas dire ! Des « bêtes féroces », criait La Revue des Deux Mondes, des « bêtes féroces professant comme religion le pillage, le viol et l'incendie ! »

À la vérité, on éprouvait de l'embarras sur cette question, précisément, du bien d'autrui. On écoutait mal Victor Hugo rapportant que son domicile, place des Vosges, avait été envahi par des émeutiers qui tiraient par les fenêtres mais n'avaient touché à rien dans l'appartement. Et Mérimée, qui a fait le coup de feu sur les rouges « avec tout ce qu'il y a d'honnêtes gens à Paris », et qui déclare à Mme de Montijo : pour les ouvriers, « il s'agissait de piller la ville », baisse la voix pour lui confier, à la fin : « nous sommes entrés dans les maisons de la rue Saint-Antoine d'où les insurgés venaient d'être délogés ; les habitants nous ont dit qu'on ne leur avait rien pris[16] ; sur les boutiques, on voyait écrit à la main par les insurgés : Mort aux voleurs ! » Le Correspondant reconnaîtra en passant que l'insurrection « a oublié les églises et n'a point insulté la religion » (il notera même que « pas un » des ouvriers mourant n'a refusé les derniers sacrements), mais ces brèves remarques sont postérieures à la victoire. Pendant l'action, les journaux raisonnables, lus par ce que Mérimée appelle « toute la saine population », La Patrie, Le Siècle, L'Assemblée nationale et particulièrement Le Constitutionnel du célèbre M. Véron, ont été au-dessus de tout éloge dans leur campagne d'informations : les amis de l'ordre apprenaient par eux que les insurgés crevaient les yeux des prisonniers et leur arrachaient la langue ; que des cantinières, vendues à l'ennemi, offraient aux gardes nationaux de l'eau-de-vie empoisonnée ; que les rouges traînaient les petites filles des pensionnats dans les rues pour les aligner devant les barricades et mitrailler ainsi la troupe à l'abri de cet innocent rempart ; que les ouvriers transformaient en lampions les crânes des soldats qu'ils avaient tués ; que certains raffinés se faisaient des flambeaux avec des gardes nationaux enduits de résine, et que les femelles du prolétariat avaient pour divertissement de scier vivants entre deux planches les malheureux qui tombaient entre leurs mains. Le Lampion eut cette trouvaille : « On a découvert sur le cadavre d'un socialiste le billet démocratique que voici : Bon pour trois dames du faubourg Saint-Germain. » M. de Castellane pendant le combat (dans la journée du 25) prend note des détails qui viennent de lui parvenir : « on a trouvé [dans une rue reconquise] une pompe pleine de vitriol » ; « on a coupé les poignets à un jeune garde mobile et on les lui a mis dans ses poches en lui disant de les porter à ses parents » ; « sur plusieurs drapeaux » enlevés aux insurgés, se lit l'inscription suivante : « Pillage », ou « Viol » ; Mérimée a « vu » un homme « qui avait les bras rougis jusqu'aux coudes pour s'être lavé les mains dans le ventre ouvert d'un mobile blessé » ; Mérimée a vu l'homme ; le crime, non ; mais on le lui a raconté, comme on lui a fourni cette autre notation pittoresque au sujet des travailleurs : « sur leurs barricades, à côté du drapeau rouge, on voyait des têtes et des bras coupés » ; et le vicomte d'Arlincourt, en août, dans sa tonnante brochure Dieu le veut ! rappellera aux gens de bien les hauts faits des « sauvages héros de la République rouge » : « des hommes ont été mutilés, sciés, crucifiés, jetés dans les fournaises ; des yeux ont été crevés, des langues coupées, des cœurs arrachés ! »

L'enquête sur les événements de juin (Commission Barrot-Bauchart) connaîtra d'irritants déboires lorsqu'elle voudra tenter d'apporter sur ce point les précisions indispensables : localisation, noms des victimes, noms des coupables[17].

(…)

Le 26 juin, M. de Falloux écrit à Albert de Rességuier : « On ne peut se figurer la rage de ces cannibales : l'archevêque a été leur porter des paroles de paix et a reçu une décharge presque à bout portant. » Une affirmation de M. de Falloux a, de soi, les plus grandes chances d'être le contraire de la vérité. C'est le cas, en effet. À l'entrée du faubourg Saint-Antoine, du côté de la place de la Bastille, l'archevêque s'était présenté, levant la main (« Mes amis ! Mes amis ! ») face à l'énorme barricade qui se dressait là. Les ouvriers avaient suspendu le feu. Des hommes de la mobile se glissent derrière Mgr Affre, profitant de la circonstance pour choisir de meilleures positions de tir. Des coups de feu éclatent soudain. L'archevêque tombe, une balle dans les reins, une balle, donc, tirée par la troupe mais qui s'était « trompée d'adresse ». Les insurgés se précipitent, le soulèvent dans leurs bras, le transportent, bouleversés, au presbytère voisin. L'abbé Jacquemet, vicaire général, qui accompagnait le prélat, rédige aussitôt une déclaration ainsi conçue : « Paris, 26 juin. Je soussigné, vicaire général de l'Archevêque de Paris [...] atteste, autant qu'il a été possible d'en juger au milieu d'une grande confusion, que l'archevêque n'a pas été frappé par ceux qui défendaient les barricades. » Ce jour même, à l'Assemblée, Mgr Parisis voudra donner lecture de ce billet ; de violentes interruptions lui couperont la parole : « Assez ! Assez ! Restons-en là ! Le fait est connu ! » Et comme le représentant Beslay s'efforce de soutenir Parisis en disant : « On a tiré de deux côtés... Je crois que c'est de notre côté qu'est venue la balle... », les cris redoublent : « Assez ! Assez ! » Le Moniteur du 29 insérera une note brève déclarant que « tout porte à croire » que le trépas de l'archevêque fut « purement accidentel » ; ce qui n'empêchera point Le Correspondant d'affirmer le surlendemain : les insurgés ont tué l'archevêque ; « le génie de l'enfer n'a pu contenir sa rage, et une décharge meurtrière a mis fin au sermon de ce prêtre[18] ». En août, le vicomte d'Arlincourt répètera, avec le sombre acharnement de la haine : l'archevêque de Paris a été « assassiné » après avoir béni « l'arbre de la liberté planté par ses bourreaux ».

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Extraits de La Première résurrection de la République (p. 436-443),
d'Henry Guillemin.

[1] Depuis le 10 décembre 1848, le prince Louis-Napoléon trône à l'Élysée (note des Éditions de l'Évidence).

[2] « Filia Babylonis misera !... Beatus qui tenebit, et allidet parvulos tuos ad petram. » (Psaume 136).

[3] L'Ère des Césars, p. 156.

[4] « … Quorum vocibus et concursu terrentur infirmiores, dubii confirmantur, plerisque vero libere discernendi potestas eripitur. » (Comment. de César, De bello civili, liv. I.)

[5] Laurent Meillet (Discours politiques et littéraires sur Corneille Tacite).

[6] « Et sane id tempus erat, quo magis defendere quam audire leges, oportebat. » (Liv. V, De Gratiudine.)

[7] « Tentabat et scribere. » (Eginhard, ch. XXV, p. 110.)

[8] « Romanum propius divitiusque forum est ; Illic æra sonant…… » (Martial, Epigramme LXXVII.)

[9] « Fecerunt itaque civitates duas amores duo : terrenam scilicet amor sui usque ad contemptum Dei ; coelestem vero amor Dei usque ad contemptum sui. » (Saint Augustin, De civitate Dei, liv. XIV, ch. XXVIII.)

[10] Presse du 1er décembre 1850.

[11] Combinaison de quatre numéros pris à la loterie et sortis au même tirage.

[12] « A good and stable government of a depraved people is impossible ; the more popular the government, the worse it is. » (Sophisms of free trade examined, ch.VIII).

[13] Les Girondins, t. VIII.

[14] Insipiter locutus sum, et quae ultra modum excederent scientiam meam. (Livre de Job, ch. 42).

[15] ......Quacumque alte gradereris in Urbe,

Cedentes spatiis, assurgentesque videbas,

Quamvis miles adhuc. (Claudien, De laudibus Stilichonis.)

[16] Cette attitude universelle des insurgés gênait beaucoup La Revue des Deux Mondes, qui s'en tire comme suit : l'insurrection « écrivait Mort aux voleurs sur les boutiques, mais, après la victoire, elle aurait organisé la spoliation en grand » (La Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1848).

[17] Le 29 juin, le Chargé d'affaires d'Angleterre, vaguement sceptique, a demandé personnellement à Bastide « si l'on s'était assuré de ce qu'il y avait de vrai dans les récits des cruautés que l'on prétendait avoir été commises par les insurgés » ; et Bastide lui a répondu qu'il « avait le regret de penser qu'il n'y avait pas eu d'exagération sur ce point » (Normanby, Une année de révolution, II, 142).

[18] Dans son numéro du 16 juillet, Le Correspondant, sans faire allusion à sa calomnie précédente, se bornera à relater les faits tels qu'ils s'étaient réellement déroulés.

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Avertissement :

Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :

"Les murs ont des oreilles...".