Les Utopismes
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Église Réaliste - janvier 2001
Gracchus Babeuf - 1760-1797
Un fait fondamental doit être affirmé sans la moindre hésitation : depuis 1835/1849, les Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 sont complètement dépassés, même comme référence théorique honnête. Du même coup, le caractère "naturel" qui était attaché à ces Droits s'évanouit à jamais.
C'est en s'appuyant sur cette réalité, du caractère périmé de la Déclaration d'août 1789 depuis 150 ans, que la Caste Noire aujourd'hui dominante s'offre le luxe de jaser jusqu'à n'en plus finir sur "les droits de l'homme" ! Ceci se combine avec cet autre fait, qui consiste à entretenir l'ambiguïté entre les Droits civilisés de 1789 et la Déclaration prétendument "universelle" de 1948, absolument Barbare celle-là, bien qu'elle ait prétendu aller "plus loin" que celle des bourgeois de 89 ! Avec cela, on nous pond de nouveaux droits tous les jours : de la Femme, de l'Enfant, des Animaux ; autant de chartes qui sanctionnent simplement le droit de se moquer du monde !
Quoi qu'il en soit, ne perdons pas de vue que moins de 50 ans après la prise de la Bastille, les conséquences même de la révolution avaient rendu la Déclaration des Droits complètement obsolète.
Pourquoi ce caractère relativement éphémère de la validité de la Déclaration de 1789 ? Il s'explique surtout par le fait que la France rattrapait alors son retard par rapport à l'évolution Moderne telle qu'elle s'était épanouie dans les pays où avaient triomphé explicitement les principes de l'Évangélisme (la Réforme), et spécialement le Calvinisme, le Puritanisme et la Maçonnerie (Hollande, Angleterre, Union Américaine). En contrepartie, la Révolution Française, impulsée par le Déisme, et grâce en quelque sorte à son "retard", formula les principes Modernes de la façon la plus claire et la plus pure. Cet avantage dans l'expression limpide et générale n'empêcha pas que, peu après, les Montagnards de 1793 durent produire une Déclaration d'un tout nouveau genre, absolutisant la "Volonté Générale" de l'idéalisme français (Rousseau), au point d'élever en principe le droit pour le peuple de "toujours changer sa Constitution", et le droit à "l'insurrection contre le gouvernement" qui viole les droits du peuple. Dans l'autre sens, en 1799, on en vint à absolutiser l'"Intérêt Général" de la tradition empiriste des anglais (Bentham), et, au nom de la "stabilité nécessaire", Bonaparte fut nommé "Premier Consul à vie".
Tout cela ne touchait cependant pas au fond de la Déclaration des Droits de 1789 : Propriété-Égalité-Liberté. Les Consuls de décembre 1799 se contentaient de proclamer : "Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie."
On était donc loin de penser, en 1795, que 40 ans plus tard se lèverait la grande vague Utopiste affirmant le nécessaire établissement de la République "Socialiste-Démocratique" ! Ce nouveau mot d'ordre renvoyait réellement la Déclaration des Droits au musée des antiquités. En effet, il exigeait deux choses :
- La Propriété Active étendue à tous et, avec elle, la Citoyenneté Active étendue à tous. Cela entraînait effectivement une révision profonde de la perspective bourgeoise traditionnelle ;
- Les intéressés, les Utopistes de toutes les écoles, avaient conscience d'être ainsi "novateurs", relativement aux Grands Ancêtres ; et ils étaient fiers de se trouver investis d'une mission nouvelle, qu'ils voyaient comme le vrai achèvement de la Civilisation. D'où leur enthousiasme en découvrant qu'ils renversaient les priorités relativement à la Révolution : le Socialisme Démocratique déclarait nettement que la généralisation de la Propriété Active était la "fin", à l'égard de laquelle la généralisation de la Citoyenneté Active ne figurait que comme le "moyen".
Ceci dit, il me paraît nécessaire de préciser les points suivants :
1- L'exigence "Utopiste" du Socialisme Démocratique s'affirma de façon complètement spontanée. Ainsi le Marxisme, même ancien (1845-1975), n'eut rien à voir dans l'affaire ; d'ailleurs Marx avait 22 ans en 1840, et ne soupçonnait pas qu'il allait bientôt devenir "marxiste" (en 1844).
J'insiste : l'exigence Socialiste-Démocratique fut de part en part d'origine et de nature Civilisée ; c'est ainsi qu'on doit absolument aborder ce mouvement, qui se définira comme "Rouge" en 1848. C'est précisément ce qui fait la "limite" historique du Socialisme Démocratique, et ce qui en fit la faiblesse au jour de l'affrontement sanglant et décisif, voulu par la réaction Barbare (Anti-Civilisée), tant en 1840 à Londres qu'en Juin 1848 à Paris.
Tout ce qu'on peut lui accorder, c'est que le Socialisme Démocratique, toutes tendances confondues, était objectivement, inconsciemment, ULTRA-Civilisé. Cela s'est révélé dès 1795, avec Babeuf et Godwin, et a été confirmé en 1820, avec la Charbonnerie (Bazard et Voyer-d'Argenson) et le Socialisme proprement dit (Owen et Saint-Simon).
En ce qui concerne Marx, il enfourche le Socialisme Démocratique en 1844, quand il révèle ses limites. C'est à cela que son "Socialisme Scientifique" veut faire face, en mettant à l'honneur l'"Histoire" (la Chronologie) dans tous les domaines : le Matérialisme Dialectique dans la Théorie, et l'Économie Critique dans la Pratique.
Par cette démarche, Marx se fait Ultra-Civilisé de façon consciente, subjectivement, ce que dénote le caractère "scientifique" revendiqué. Mais ce n'est encore que la conscience de la mission Ultra-Civilisée du mouvement Socialiste-Démocratique ; et la "limite" fixée quant à la conception du Communisme est la limite "anglaise" : limite a-politique dans la Pratique, et a-idéaliste dans la Théorie. Ce n'est que bien plus tard, quand l'Ancien Marxisme aura épuisé ses limites après Mao, qu'on sera amené à mettre la chose au clair.
2- Selon notre première Constitution, conforme aux Droits de l'Homme et du Citoyen, la Constitution de 1791, tout Socialisme-Démocratique était impensable, sortait de l'horizon historique. En effet :
- On y déclare précisément : "La Constitution garantit l'inviolabilité de la Propriété";
- D'une manière générale, la Constitution de 1791 juge tout à fait "naturel" que les Propriétaires et Citoyens Actifs forment une minorité sociale.
- Les choses se présentent de la façon suivante :
On pose la Citoyenneté active comme déterminée par la Propriété active.
Le Citoyen actif simple, de base, est sélectionné par l'impôt qu'il paie (le Cens). Quant au citoyen actif méritant le titre d'électeur, autorisé à élire les Représentants (députés), il est sélectionné par sa Fortune. La fortune est estimée à partir des Revenus patrimoniaux déclarés, revenus qu'on veut d'un montant quatre fois supérieur pour un Électeur d'une grande ville que pour un Électeur d'un village.
- Il est vrai que la Constitution de 1791 se montrait néanmoins d'une audace extraordinaire, puisque : il y avait une Chambre unique des Représentants, toute puissante vis-à-vis de l'Exécutif (le Roi) ; les électeurs riches pouvaient nommer Députés de simples citoyens actifs ; quantités de responsabilités relevaient directement des citoyens actifs de base (curé, arbitre judiciaire, etc.) ; une foule de fonctionnaires proprement dits étaient élus (juges, chefs de la garde nationale, etc.).
On ne se rend pas compte à quel point la seule Constitution de 1791, bien qu'ignorant le "suffrage universel", si elle était remise en vigueur aujourd'hui, serait regardée comme absolument "anarchiste" par la Caste Noire dominante !
3- Le caractère "spontané", d'essence simplement civilisée, de la Révolution Française, ne peut pas se dire de la même manière dans le cas du Socialisme-Démocratique moins de 50 ans plus tard.
La "Grande Révolution" ne s'est pas abattue sur le monde le 14 juillet 1789 au matin, évidemment ; quelque 30 ans auparavant, elle prenait déjà son élan, vers 1760, ce qu'attesta alors le départ des "Lumières" françaises. Ce grand mouvement peut se concentrer dans la triade suivante : Rousseau - Helvétius/Marat - Diderot (ce dernier incarnant la mise en faisceau des courants contradictoires de l'Encyclopédie : l'abbé Yvon - Voltaire - d'Alembert). Cependant, la Révolution préparée n'était point du tout "préméditée" (Marat faisant exception) : à la manière civilisée, on marchait inexorablement à la Révolution en restant convaincu jusqu'à la dernière minute de ne travailler qu'à une réforme de l'Ancien Régime ; et cela malgré le démenti de l'expérience avortée de Turgot (1776).
Le mouvement Socialiste-Démocratique de 1835-1845, lui aussi fondamentalement civilisé, fut "spontané" d'une toute autre manière, du fait même que sa portée était "ultra"-civilisée. Comment cela ?
- À la base, l'Utopisme Socialiste-Démocratique ne prétendait pas à plus que parachever la civilisation, en formulant le mot d'ordre : Tous propriétaires-citoyens au sens Actif de ces notions. Voilà pour le côté absolument Spontané du mouvement.
- Concrètement, cette utopie était finalement aussi vieille que la civilisation ; elle datait de bien avant Platon (Académie : 387-348 A.C.) et Cléomène (roi de Sparte : 236-222 A.C.). Mais elle était toujours restée, soit un rêve bleu, soit un incident fâcheux du développement civilisé ; et cela malgré le fait que, plus la civilisation s'épanouissait et se perfectionnait, plus l'utopie devenait "obsessionnelle" et "délirante"!
- Or, voilà-t-il pas qu'en l'espace de quatre lustres, de 1790 à 1810, l'apogée civilisé se trouvant atteint et dépassé, la "folle" Utopie d'antan se révélait être devenue la chose la plus "sérieuse" du monde ! Il y avait quelque chose d'époustouflant dans cette histoire ; de quoi mobiliser comme jamais tous les dévouements, mais aussi de quoi susciter comme jamais toutes les frayeurs !
En effet, pour la première fois dans toute l'histoire civilisée, on se trouvait en présence d'un mouvement social qui affichait hégémoniquement vouloir par avance procéder à une révolution et qui, pour cela même, n'allait pas opposer à la provocation Barbare autre chose que des moyens de Réforme ! Du fait qu'on "préméditait" cette fois le parachèvement civilisé, auquel absolument aucune expérience antérieure n'avait "préparé", on étalait tous les SYSTÈMES possibles et tout faits de Socialisme-Démocratique, dont les meilleurs, sous prétexte qu'ils devaient enfin abolir les révolutions, prétendaient s'imposer en faisant l'économie de la forme révolutionnaire.
Dans la révolution Social-Démocrate des Utopistes Ultra-civilisés, tout à fait "préméditée" par les intéressés, il s'agissait d'une opération d'une envergure incomparable, relativement à toutes les révolutions antérieures affrontées par la Civilisation depuis 25 siècles, et auxquelles elle avait dû son perfectionnement. Même la propre naissance de la Civilisation, surgissant du monde primitif, n'était pas comparable ! Et pourtant, c'est à ce moment même, par une exception étrange, que les Utopistes Intégraux restèrent pratiquement sans ressort, comme dépourvus de forces créatrices et de puissance expansive, quand ils se trouvèrent confrontés au défi de la Barbarie intégrale. Proposer des "réformes" était ne rien proposer du tout ! Mais la panoplie des "systèmes" utopistes était tellement au point, que toute initiative historique se trouvait exclue a priori. Il nous faut creuser cette énigme.
Les vraies Révolutions civilisées (et Dieu sait à quel point elles le furent, par les guerres civiles impitoyables qu'elles déchaînèrent, à chaque fois plus larges, plus profondes) n'étaient pourtant, quant au contenu, que des Réformes : elles "purifiaient" la base civilisée faite de Propriété privée et de Citoyenneté publique ; elles délivraient la Civilisation de certaines "inconséquences" déterminées ; et ce "perfectionnement" civilisé s'effectuait au nom de la lutte contre les Privilèges établis (qu'on croyait récents, violant des "franchises" ancestrales !).
L'Ultra-Révolution que se proposent les Utopistes a un tout autre caractère : elle veut abolir l'hégémonie de la minorité ACTIVE de Propriétaires-Citoyens, sur la masse populaire PASSIVE quant à ces titres qui lui étaient effectivement reconnus (ce qui fait toute la différence avec notre Barbarie Intégrale, qui vante pour la forme "l'activité" de la masse, en lui interdisant sur le fond tout attribut réel de Propriétaire-Citoyen !).
Ainsi, l'Ultra-Révolution des Social-Démocrates (les vrais, pas ceux qu'on a connus plus tard sous ce nom !) mettait en cause tout ce qui avait sous-tendu la civilisation, et qui était arrivé à sa perfection finale vers 1800.
Mais dans la tête des Utopistes, il ne s'agissait précisément que d'une Ultra-Révolution, c'est-à-dire de quelque chose de civilisé et devant parachever la Civilisation. C'est en ce sens, d'ailleurs, qu'on ne parlait que de "GÉNÉRALISER" la Propriété et la Citoyenneté active ; ce qui donnait à la fonction Active l'aspect du "dernier" PRIVILÈGE, du simple privilège "par excellence".
Les Utopistes engageaient bien une action civilisée, la seule digne des civilisés de leur temps, une action qui les faisait les vrais héritiers de la Civilisation, et absolument nécessaire pour quiconque était soucieux de sauver le dépôt civilisé, d'éviter la Barbarie Intégrale et de permettre un avenir à l'humanité préhistorique.
Mais il y avait quelque chose de profondément "anormal", du point de vue civilisé, dans la position des Utopistes (bientôt dits Rouges). Le privilège par excellence d'une minorité dominante pouvait-il être dit abolissable, alors que cette perspective n'entrait dans aucun cadre connu au sens de l'Expérience positive de la Civilisation.
De même sur le plan Idéologique, il y avait cette fois quelque chose d'"atypique", puisqu'on concevait par avance le contenu de la révolution à faire, qu'on était conscient d'avoir à procéder à une "révolution", alors qu'auparavant on était toujours entraîné par force dans une révolution, au nom de réformes à faire, qu'on découvrait après-coup le vrai contenu du mouvement social engagé, et qu'on ne glorifiait qu'alors les organisateurs de la guerre populaire, et seulement au titre de commémoration rétrospective, comme un devoir Défensif et un mal nécessaire dans une situation anormale.
Sur le plan de l'Action, on était de même en position inverse des vraies Révolutions du passé, avec les Utopistes : une fois qu'on avait produit le système de civilisation sans privilège aucun, on avait tout dit ; il n'y avait aucune place pour quelque "surprise" historique que ce soit, et les plans étaient si beaux que l'on était persuadé d'y rallier "tout le monde", à commencer même par les autorités civiles et politiques en place, qui avaient incomparablement plus à gagner qu'à perdre avec la Révolution social-démocrate, et se trouvaient dans une position avantageuse pour en organiser l'avènement. Les Utopistes se réservaient seulement la latitude de mettre sur pied des "expériences modèles" de l'ordre social-démocrate, pour achever de convaincre le monde que l'Utopie Intégrale était réellement devenue on ne peut plus d'actualité et rationnelle à tous les points de vue.
C'est de cette façon que la social-démocratie ultra-civilisée donna pour la première fois de l'histoire civilisée le spectacle de Révolutionnaires "par avance", condamnés au Réformisme au jour de l'affrontement. Nous avons lieu de nous révolter devant cette injustice de l'histoire qui fit que pour la première fois le camp Barbare, résolu à en découdre avec la masse populaire, trouvait en face de lui une avant-garde spontanée constituée essentiellement d'"agneaux" se livrant aux bouchers, et cela de façon stratégique. Mais ceci est d'un autre côté tout à l'honneur du Socialisme Utopique, puisqu'il affirmait ainsi solennellement que l'ère qui s'ouvrait ne pouvait être que Non-Révolutionnaire (même si on ne pouvait empêcher que le sang y coule à flots comme jamais on ne l'avait vu sous 25 siècles de Civilisation révolutionnaire).
Je sais bien qu'il y eut des "violents" dans la Social-Démocratie, spécialement du côté Démocrate ; mais dans le couple Socialiste-Démocrate, c'est irréversiblement le pôle Socialiste qui était le principal, et ceci constitue la particularité distinctive du mouvement Rouge (en Occident).
Babeuf, en 1796, exalte la MÉTHODE révolutionnaire. Il dit : "La Révolution française n'est que l'avant-courrière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière". De même Blanqui, à juste titre jusqu'en 1839, préconise une "dictature parisienne". Marx, en 1847, déclare : "La violence est l'accoucheuse de l'histoire". Tout cela est bien bon "en général", quant à la nécessaire présence des FORMES civilisées dans la transition civilisée ; mais cela devient très mauvais quand on en tire prétexte pour faire l'apologie dogmatique, ce qui revient à glorifier la face purement Préhistorique de la Civilisation : c'est alors une manière d'avouer qu'on ne sait PAS exactement où va la "révolution" que l'on prêche, et que le Communisme n'a PAS trouvé les Éclaireurs d'un nouveau genre dont on a besoin. Les "personnels à statut" qui défilent le 1er mai avec la bénédiction de la Préfecture, et le mot d'ordre "une seule solution, la révolution" sur leur banderole, nous font bien rigoler !
Notre malheureux martyr, Babeuf, dit : "Tous les citoyens sont armés" (Décret de police), et "la République ne fabrique plus de monnaie" (Décret économique). Pourquoi ne peut-on pas détruire les ARMES en même temps que l'ARGENT ? Il faut réfléchir à cela. Pol-Pot en était resté à Babeuf…
C'est sur ce point qu'il faut admirer la lucidité de Marx, qui proclama de la manière la plus tranchée qui soit, dans son Manifeste de 1847, que jamais aucune cause n'avait autant exigé la voie Révolutionnaire que celle du Socialisme Démocratique. C'est d'ailleurs pour couper court à toute ambiguïté sur ce point qu'il écarta l'appellation "socialiste" et adopta celle de "communiste". Mais pour Marx, la question de la Révolution ne touchait pourtant qu'indirectement au fond des choses. En effet, autant il repoussait le Philanthropisme "socialiste", autant il réprouvait la Violence "démocratique" ; dans son idée, les deux partis se disputaient seulement à propos de "recettes" révolutionnaires opposées ; et, quant aux "violents", la méthode "conspiratrice" minoritaire d'Auguste Blanqui et de Godefroi Cavaignac revenait pour lui au même que l'excitation à la "révolte" de masse de Weitling et de Stephens.
Ce n'était donc pas la "révolution" en tant que telle qui était en cause ; c'était de savoir si on concevait le Socialisme Démocratique comme un "état" ou comme un "processus" ; et si le moteur du socialisme démocratique serait une minorité ou bien la masse elle-même, à commencer par la classe la plus "basse", le Salariat.
Je m'arrête sur la question de l'Utopie, que la tradition de l'Ancien Marxisme a traité trop schématiquement à mon avis, et pour deux raisons :
- En parlant de "Socialisme utopique", on ne se rendait pas compte que le mouvement Utopiste ne comportait pas seulement la branche économique du Socialisme, mais aussi la branche politique complémentaire, celle du Démocratisme.
- Concernant le seul volet Socialiste de l'Utopie, on présenta ce socialisme utopique comme opposé au socialisme "scientifique", ce qui portait atteinte à la pleine légitimité historique du socialisme utopique, à son caractère absolument fondé du point de vue de la trajectoire même de la Civilisation.
Ce dernier point, tendant à disqualifier historiquement le socialisme utopique, pouvait désorienter les bourgeois libéraux, disposés à rester attachés à l'opinion traditionnelle, selon laquelle l'Utopisme ne pouvait être que le fruit de rêves mûris dans quelques cervelles de moines ou de mandarins exaltés. Cela faisait bien l'affaire des bourgeois barbares (Anti-civilisés), s'efforçant d'accréditer l'idée que l'utopisme consistait simplement dans les programmes pervers de charlatans ou de voyous.
Il y a un paradoxe dans l'ambiguïté des Anciens Marxistes vis-à-vis de l'utopisme :
Le grand mouvement Utopiste Intégral (1798-1845) était doublement légitimé : d'abord comme Ultra-Civilisé ; ensuite parce que l'ensemble de ses Écoles réunies dans l'expression du "socialisme démocratique", constituait un mouvement complet, associant dans le bon ordre l'Économie et la Politique (la question de l'Entreprise et celle du Gouvernement), pour l'usage Occidental recherché.
Les deux faiblesses de l'Utopisme Intégral étaient, d'une part qu'il ne se concevait pas autrement que comme le parachèvement civilisé ; d'autre part que sa richesse complète n'était qu'une réalité objective, ses tendances polaires se faisant une concurrence acharnée, l'empêchant de s'unir organisationnellement.
Les limites de l'Utopisme Ultra-Civilisé, devinrent graves à partir de 1840, et en 1844, Marx entre dans le jeu avec l'intention de sauver et faire aboutir le mouvement. Mais il y a aussi une limite à cet Ancien Marxisme :
- Marx ne voit pas que la Barbarie Intégrale vient de s'emparer de l'initiative, et il pose la question en termes de Bourgeois-Prolétaires, comme si le Salariat avait simplement à succéder à la Bourgeoisie civilisée comme classe dominante ;
- Si l'Utopisme était Ultra-Civilisé, le socialisme "scientifique" de Marx est simplement Ultra-Utopiste, avec une lacune à la clef : son côté unilatéral, ne s'appuyant que sur l'Empirisme Critique, en laissant de côté le nécessaire Idéalisme Critique. L'Ancien Marxisme se voit donc vulnérable, du côté de la Religion en théorie, et du côté de la Politique en pratique ; Pierre Leroux et Mazzini lui échappent. Inversement, du côté Barbare, si Marx foudroie immédiatement la monstruosité Économique de Proudhon, il reste 20 ans ignorant du redoutable danger que représente la monstruosité Politique d'Auguste Comte.
Il est vrai que l'Ultra-Utopisme unilatéral de l'Ancien Marxisme, appuyé sur l'Économie Critique, se hissa aisément au premier plan de la lutte pour sauver le dépôt civilisé et pour mener la lutte défensive contre la Barbarie Intégrale dominante. Seulement il fallait en venir à mettre à jour ses propres limites.
Exemple :
Marx reprocha au Socialisme Utopique de multiplier à l'infini les "systèmes" rivaux, selon les lubies pouvant germer dans les cervelles des divers chefs d'École. Ce n'est pas la bonne manière d'aborder les choses. Le socialisme utopique ne pouvait pas inventer n'importe quoi ! "Socialiste" ou "Communiste", il ne pouvait enfanter que des plans très déterminés et nettement polarisés, portant sur le rapport Entreprise/Ménages, le rapport des Entreprises entre elles au sein du Marché, et le rapport Marché/État.
De même, Marx associe habituellement Fourier et Saint-Simon, comme typique du Socialisme Utopique. Or ces deux personnages ne constituent nullement un couple de contraires. C'est Owen-Saint Simon qui forment un véritable couple, tous deux ayant le souci de présenter des propositions pratiques, l'un à partir de la Production et avec une vue nationale, l'autre à partir des Finances publiques et avec une vue Diplomatique.
Observation Politique :
Marx ne va pas au-delà de l'Ultra-Utopisme Unilatéral ; ceci se révèle le mieux en Politique.
Ainsi, à la veille même de 1848, il n'y a rien dans le Manifeste qui pourra être d'une quelconque utilité pour le mouvement révolutionnaire qui va éclater dans le propre pays de Marx, en Allemagne, où la question Nationale va se trouver au premier plan. Dans le feu de l'action, la Ligue des Communistes de Marx n'aura pas d'autre "correctif" à apporter au Manifeste que de développer la théorie de la "Révolution Permanente", ou la théorie de la "Transcroissance" de la révolution prolétarienne. C'est de cette fausse "solution" que Trotski fera ses choux gras en 1905 ! En attendant, le chef "ouvrier" chauvin Lassalle fera carrière en Allemagne en exploitant la faiblesse politique de l'Ancien Marxisme.
Même en ce qui concerne l'Angleterre et la France, où la question Nationale est réglée depuis près de 375 ans en 1845 (depuis 1475), le handicap politique apparaît, puisque tous les malheurs des Partis Marxistes (avec Jaurès et Thorez pour prendre le cas français) vinrent du Chauvinisme militariste et colonialiste.
En théorie même, si on y regarde de près, et en dépit des paroles de Marx sur l'"extinction de l'État" à la phase supérieure du communisme, il apparaît dans sa manière de présenter la transition du Socialisme au Communisme, que la "Dictature du Prolétariat" pouvait seulement s'affaiblir continuellement et devait continuer de s'exercer "indéfiniment", sans jamais parvenir à toucher à son terme qualitatif, l'abolition complète de l'État et du Peuple.
Le résultat de mon analyse semble d'autant plus "surprenant" que Marx voyait le salariat de son époque quasiment prêt au socialisme pour l'essentiel, et sa domination comme classe réellement imminente en Occident.
Je propose, pour finir de traiter la relation entre l'Utopisme et l'Ancien Marxisme, de caractériser cette relation par une contradiction :
- D'un côté, réellement Ultra-Utopiste, l'ancien marxisme fut en droit de prétendre se faire l'"avant-garde" de l'Utopisme simple, Ultra-Civilisé ;
- D'un autre côté, il ne pouvait assumer cette "direction" de l'Utopisme proprement dit qu'en le "rétrécissant", en le rendant Unilatéral, dans le sens de l'Empirisme Critique.
La résolution de cette contradiction se trouve dans le Nouveau Marxisme : l'utopisme "complet", socialiste-démocratique, doit être réhabilité ; cet utopisme complet n'a pas besoin d'"avant-garde dirigeante" ; en contrepartie, on ne peut concevoir la constitution du Peuple à partir de la Masse hors du couple Front Rouge (socialiste-démocratique)/Église Réaliste (Nouveau Marxisme).
L'affinité entre l'Utopisme simple et le Marxisme Ancien peut se préciser en distinguant trois étapes, de 1795 à 1845 : cf. tableau (page suivante).
Sous cet aspect, ce qui est pour nous l'Ancien Marxisme était alors un Nouvel Utopisme.
1- Il y a quelque chose de commun entre tous ces utopismes.
2- Mais l'utopisme Classique ("Méso") fut autant différent du Proto-utopisme (Babeuf-Godwin), qu'il sera lui même différent de l'"Eschato" (Marx-Engels).
N'oublions pas qu'en 1795 (pour arrondir), on est en plein milieu de la Révolution ; l'Utopisme Intégral anticipé, avant que la Révolution n'ait achevé son œuvre, est "indifférencié", "brutal".
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Notes :
Je ne "meuble" pas la partie II du tableau, celle de l'Utopisme Classique, du Méso-Utopisme. C'est tout un travail à faire ! Remarques :
- le Méso-Utopisme commence dès 1808.
- Il n'est pas que "français", ni même franco-anglais (cf. "L'État National fermé" de Fichte, etc. L'anglais "inconnu" Spence…
- Surtout, n'oublions plus qu'il est formé du couple Socialisme/Démocratisme.
Abandonnons le côté unilatéral d'autrefois : Utopisme = Fourier/Saint Simon/Owen ! Démocratisme et Socialisme sont à leur tour "polarisés" : le premier en Idées et Armes (Loi et Force), et le second en Communauté et Association (Égalité et Liberté).
- Autre point décisif : le Méso-Utopisme change tout à fait de caractère, bascule en son propre "contraire", se "dédouble" donc, suite à 1830. Il devient nettement "ouvrier", au point que le socialisme de Liberté se fait "Syndicalisme" spontané. Et le socialisme Athée (Dezamy-Pillot) se fait une place. Etc.
Exemple pour "meubler" le tableau (partie II) :
- Socialisme : couple Saint Simon/Owen ;
- Démocratisme : couple Bentham/Charbonnerie.
Quand Fourier qualifie la Civilisation de "préhistorique", quand Babeuf parle de "communisme", quand Blanqui réclame une "dictature", il faut bien comprendre que les mots n'ont pas le même sens chez les Utopistes que chez les Nouveaux Marxistes.
Alors que nous vivons depuis 150 ans sous le joug de la Barbarie Intégrale, il semblerait qu'au nom même des Rouges et de l'Ancien Marxisme, on n'ait rien médité et rien ajouté au patrimoine populaire, en nous retrouvant en-dessous même des tout premiers "bourgeois" de l'Hellade, Dracon, Solon et Clisthène…
Il est plus que temps de se réveiller !
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« La révolution française
n'est que l'avant-courrière
d'une autre révolution
bien plus grande,
bien plus solennelle,
et qui sera la dernière ».
Babeuf
Le Manifeste des égaux - printemps 1796
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« Il ne faut pas jouer
avec la Révolution ».
Lénine
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".