À quoi se réduisent donc
les “acquis et conquêtes” de 1936 ?
• Les salariés eurent droit à un “réajustement des salaires, commençant à 15% pour les moins élevés, pour arriver à 7% pour les plus élevés”. Avec cela, les “quarante heures” et les “congés payés”. Pour le salariat, qui avait avant tout desserré l’étau du despotisme des contremaîtres et des policiers et s’apprêtait à muer cette bouffée d’oxygène en ambiance normale de son existence en se dressant pour s’emparer de la direction sociale, ces soi-disant “conquêtes” consistaient évidemment à lâcher la proie pour l’ombre. D’ailleurs, ces “avantages” étaient du même type que ce que le roi, en 1789, consentait à “offrir” à ses “sujets” dans le cadre des États-Généraux : tandis que l’essentiel, l’absolutisme, restait intangible, la “générosité” du monarque ne portait que sur des concessions annulables le lendemain. C’est ce que les faits montrèrent immédiatement. D’abord la police de Blum intervenait énergiquement pour faire évacuer les îlots de grévistes irréductibles. Ensuite, l’heure était venue où, à son tour, l’oligarchie dominante se mettait à “voter une seconde fois”, les bureaucrates gouvernementaux invoquant les “exigences” rigoureuses de la compétitivité internationale, et les technocrates des trusts se retranchant derrière la loi impitoyable du marché du travail. Bref, l’application même des accords ne correspondit en rien à leur rédaction. Des entreprises, supprimant des avantages acquis antérieurement, reprenaient d’une main ce que les “textes” les contraignaient d’accorder de l’autre. L’engagement politique des élus du Front Populaire d’instaurer un impôt progressif fut tout simplement oublié. Enfin, dès septembre 36, Blum procédait à une dévaluation du franc qui tranchait violemment dans les “ajustements” de salaires et d’horaires. Au même moment, le gouvernement décrétait la nécessité de la “Pause” dans l’application du Programme sur lequel il avait été élu ! D’ailleurs, Blum démissionna peu après (juin 37), non sans avoir préparé une 2ème dévaluation qu’appliquera son successeur. En août 1938, Daladier proclama que des “dérogations” aux 40 h étaient nécessaires, et l’on “autorisa” joyeusement les heures supplémentaires pour la Défense nationale, mettant à mal sans aucun scrupule les “lois sociales”. Quand un “communiste” comme Marcel Prenant osa dire, à propos des congés payés de 1936 : “pour la première fois, en cet été, les travailleurs allaient pouvoir passer 15 jours au bord de la mer aux frais de leurs patrons”, on mesura à quel point le mépris pour le salariat avait pu s’insinuer partout dans notre ordre néo-barbare ! En tout cas, les congés payés, que le dictateur Mussolini avait déjà institué depuis 10 ans, tombaient à pic pour disperser les grévistes et rafraîchir les têtes échauffées par les occupations !
• Du côté des chefs ouvriers, là, on peut en effet parler d’“avancée sociale” : “dans chaque établissement de plus de 10 ouvriers, il est institué deux ou plusieurs délégués”, et “la délégation patronale admet l’établissement de contrats collectifs de travail”. Ceci, c’est la rémunération spéciale des domestiques de l’oligarchie, étant entendu que “la délégation ouvrière demandera aux travailleurs en grève de décider la reprise du travail”. L’on enjoint donc aux chiens d’ouvriers qui ne sont pas au chômage de rentrer à la niche. La bonté princière de l’oligarchie va même jusqu’à l’engagement de ne prendre “aucune sanction pour fait de grève”. Comment donc “sanctionner” un pays entier ? Il est facile de renoncer à appliquer ce qu’on n’est nullement en mesure de faire. Et puis, renoncer à punir les grévistes ne leur paie pas leurs journées perdues. Enfin, il sera toujours loisible, plus tard, les choses étant rentrées dans l’ordre, de dégraisser en s’y déclarant contraint par la concurrence, de muter les indésirables ou bien de pousser qui on veut à se mettre dans le cas de “faute grave”...
Faire évacuer les entreprises, revenir à la “normale” concernant le régime du parasitisme et du despotisme, tel était le seul objectif de l’oligarchie. Les chefs ouvriers, nantis de délégations, ne vont pas manquer de zèle pour justifier leur plat de lentilles. Le parti communiste se place à l’avant-garde du mouvement pour régulariser la situation, lui qui a sauté de 10 à 72 députés en mai 1936. Dès le 11 juin, le Bureau politique dénonce les “provocations des éléments troubles qui parlent d’aller jusqu’au bout”. Thorez, lui, crache sa parole historique : “il faut savoir terminer un mouvement revendicatif” ; “tout le monde sait que notre but reste invariablement la République des Conseils. Mais ce n’est pas pour ce soir, ça n’est même pas pour demain. Camarades, toutes les conditions ne sont pas réunies. Nous n’avons pas encore derrière nous la population des campagnes. Nous ne jouons pas, nous, avec la classe ouvrière. Les militants du Parti doivent réagir contre les tendances gauchistes. Les camionneurs en grève, c’est le ravitaillement de Paris qui est compromis”. Dès ce jour, ces salades de braillard brouillon n’auront plus de cesse. Les crétins de Garnier-Pagès et consorts, du “gouvernement provisoire” de 1848, ayant rempli la fonction qu’on attendait d’eux de torpiller le mouvement populaire, se trouvèrent aussitôt pris d’affolement, sentant qu’ils devenaient de simples hochets encombrants, dépassés par la Société du Dix Décembre préparant l’avènement de “l’homme providentiel”, le tyran totalitaire Napoléon III. De même, les gredins communistes de 1936, dès la rentrée des “congés payés”, sentirent le sol s’échapper sous leurs pieds, et commencèrent à gesticuler comme des laquais ivres pour persuader la galerie qu’il fallait encore compter avec leurs services. Et Duclos se mit à agiter à la Chambre l’épouvantail de la “carte d’identité fiscale”, à y assener que c’en était “assez d’un système dans lequel l’État est pauvre” et autres contes à dormir debout. Quoiqu’il en soit, il fallut que tout le monde avale un chapelet de couleuvres : la “non-intervention” dans la “rébellion franquiste”; entretenir sans fin les salariés des faits divers à propos de “l’unification organique des deux partis” socialiste et communiste ; prier sans succès pour obtenir “la participation communiste au gouvernement” qu’on avait exclue par principe en janvier 36 ; supplier Blum de rester au pouvoir ; dériver du Front Populaire au mot d’ordre d’un “Front des Français” ; drapeau tricolore déployé et Rouget de Lisle statufié (“Unir tous les Français dignes de ce nom”, “La France aux Français” – décembre 1937). Mais rien n’y fit, la barque des communistes en peau de lapin prenait l’eau. En matière de “vrais” Français, la Cagoule qui se constituait s’y connaissait mieux que “Momo” (Thorez). La guerre impérialiste s’annonce, dénouement véritable de la crise de 1929, et un nouveau “sauveur”, Philippe Pétain, n’est plus loin. En novembre 1938, la grève de la CGT est interdite, le pays mis en état de siège. Cheminots et travailleurs des services publics sont “requis”, aux portes des usines, “gardes mobiles” mousqueton au poing “assurent la liberté du travail”. Puis on licencie ces mêmes requis et d’autres par centaines de mille et l’on renvoie des dizaines de mille pour fait de grève. En décembre 1938, 430 journaux publient un “appel aux députés” réclamant la dissolution du P.C.F. Le 25 août 1939, enfin, le gouvernement de Front Populaire décrète l’interdiction de l’Humanité ; le 26 septembre 1939, c’est le décret de dissolution du Parti Communiste, la CGT “réunifiée” à son de trompe cinq ans plus tôt (1934) expulse tous ses éléments communistes. Il était bien loin le grandiloquent “Serment du Front Populaire” du 14 juillet 1935. Et le radical Daladier, qui avait peu avant (25 juin) déclaré publiquement sa “haine des 200 familles qui asservissent la France”, devait bien se rire des clowns “communistes” bien payés de leur nullité tonitruante et de leur veulerie arrogante.
Extrait de “L’Indigène et le Plébiscite”, Église Réaliste, mai 1995
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".