“Au cours de notre histoire s’est constitué un ensemble de règles, de conventions et de droits inscrits dans le Code du Travail… La défense du droit du travail constitue une des principales raisons d’être du syndicalisme”.
Bernard Thibault (CGT), 2002
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Quand le licenciement
n’est plus vécu comme un drame
Le premier ministre danois, le libéral Anders Fogh Rasmussen, a gagné son pari de justesse et conserve son fauteuil. “L’idéologie, c’est démodé”, clame Anders Fogh Rasmussen. Les électeurs ont d’ailleurs eu du mal à déceler la moindre différence idéologique entre le libéral et son adversaire, le leader social-démocrate Mogens Lykketoft. (…) des débats parfois surréalistes : alors que Lykketoft promettait, il y a quelques jours, 80 millions de couronnes danoises (un peu plus de 10 millions d’euros) aux personnes âgées dépendantes, “pour leur permettre d’avoir deux bains par semaine”, Rasmussen rétorquait aussitôt : “Eh bien moi, j’ai mis de côté 100 millions, pour trois bains par semaine !”
La politique d’immigration danoise, la plus restrictive d’Europe, est plébiscitée par la majorité de la population. Les sociaux-démocrates, qui avaient perdu les dernières élections sur ce thème, ont été obligés de s’y rallier pour éviter une nouvelle érosion de leur électorat.
Le taux de
syndicalisation est l’un des plus élevés d’Europe :
plus de 80 %
“Si vous voulez, on peut annoncer son licenciement à l’un de nos employés, pour que vous voyiez sa réaction…” La plaisanterie en dit long sur l’efficacité du “modèle danois” du travail. Au royaume de la “flex-sécurité”, perdre son emploi n’est nullement vécu comme un drame. Selon une récente étude européenne, c’est même dans ce pays que les employés se sentent le plus en sécurité !
Mis en œuvre à partir de 1994, le système de “flex-sécurité” allie une grande souplesse du marché du travail, une généreuse protection sociale et des politiques “actives” de réinsertion. Un “triangle d’or”, selon le ministère de l’Emploi, qui a fait ses preuves : il aurait contribué pour au moins un tiers à la baisse spectaculaire du chômage. De 12,3 % en 1993, le pourcentage de sans-emploi est tombé à 5,2 % en 2002, même s’il a depuis légèrement augmenté (6,2 % en décembre dernier). Quant au taux de chômage des jeunes, il est de 10,4 %, contre plus du double en France !
Aucune loi pour régir le salaire minimum, le temps de travail, ni même le droit de grève : il n’existe pas chez les Danois de véritable “droit du travail”. L’essentiel de la réglementation est le fruit de conventions collectives. “Nous voulons que les conventions répondent le mieux possible aux besoins des employés, explique Thorkild E. Jensen, président de C.O. Industri, l’Organisation centrale des employés de l’industrie. Si l’État intervenait, on perdrait cette flexibilité. Et les employés ne verraient plus d’intérêt à être membres d’un syndicat !” Le taux de syndicalisation au Danemark est l’un des plus élevés d’Europe : plus de 80 %. Des syndicats très puissants, qui se veulent plus réalistes que leurs homologues français : “Notre priorité, poursuit Thorkild E. Jensen, c’est que nos adhérents aient un emploi. Si nous augmentons nos exigences de façon inconsidérée, les entreprises ne pourront faire face à la concurrence mondiale, et le Danemark perdra des emplois.”
La liberté de licencier est quasi totale. Mais cela n’encourage que davantage les entreprises à embaucher, puisque, dans la plupart des cas, aucune indemnité de licenciement n’et due. Pour des emplois peu qualifiés, le préavis peut être de quelques jours seulement ! Cette durée ne s’allonge que très peu en fonction de la catégorie du poste et de l’ancienneté dans l’entreprise.
Quelque 280 000 employés dans 41 pays, c’est ainsi qu’ISS est devenue la première entreprise de services de maintenance au monde. En France, son plus gros marché, elle assure notamment l’entretien de l’Assemblée nationale et de plusieurs communes. “En matière de licenciement, par rapport à la réglementation européenne, et danoise en particulier, les pratiques françaises semblent assez rigides, affirme Helle Havgaard, directrice des ressources humaines. Si les affaires vont mal, une entreprise française devra, pour ajuster sa main-d’œuvre, passer par tout un processus coûteux, complexe et qui prend beaucoup de temps. Contrairement à l’effet recherché, ce système serait plutôt un frein à l’embauche.” Chez ISS-Danemark, l’ajustement de l’offre à la demande est un “processus continu” : “Prenons un mois typique, propose Tue Mortensen, chargé des ressources humaines. En mars dernier, par exemple, nous avons embauché 550 personnes, et 485 autres ont quitté l’entreprise.” Chaque année, près d’un tiers de la population salariée du pays change d’emploi. Quelque 300 000 emplois se créent et à peu près autant disparaissent. La durée moyenne de présence dans une entreprise est d’environ sept ans.
En contrepartie de cette flexibilité, les chômeurs danois sont très encadrés dans leurs recherches et fortement indemnisés (90 % du revenu précédent, plafonnés à 1142 euros par mois net d’impôts). Un système d’assurance-chômage privée permet d’obtenir une allocation complémentaire. Avec une durée maximale d’indemnisation de quatre ans – à condition d’avoir cotisé au moins 12 mois au cours des trois dernières années –, la couverture danoise est l’une des plus généreuses parmi les pays de l’OCDE. Une générosité financée par des prélèvements obligatoires qui atteignent, il est vrai, près de la moitié du produit intérieur brut (PIB).
S’ils ne veulent pas perdre leurs allocations, les chômeurs se doivent d’“activer” leurs recherches (stage, formation, etc.) assez rapidement : au bout de six mois pour les moins de 25 ans, au bout d’un an pour les autres. Les trois quarts des chômeurs retrouvent d’ailleurs un emploi au cours de la première année. Pour les chômeurs de moins de 20 ans, le gouvernement vient d’annoncer le remplacement des aides directes par une “garantie de formation”. Afin de leur apprendre que le système danois n’est pas un “buffet libre”.
Ibrahim l’a bien compris, qui a été obligé, après deux semaines de chômage, d’accepter la proposition des services sociaux de sa commune, sous peine de voir son allocation (le minimum est de 7500 couronnes danoises – 1000 euros – par mois pour une personne seule) réduite. Lassé de se lever aux aurores pour aller nettoyer des bureaux, il a trouvé, par lui-même, un emploi de vendeur qui le satisfait davantage. “Cela me permettra de tenir jusqu’à la rentrée prochaine, explique ce jeune de 24 ans, d’origine irakienne. Je me suis déjà inscrit dans un cursus d’économie.” Au Danemark, tous les étudiants, quels que soient les revenus de leur famille, reçoivent une bourse qui leur permet d’être indépendants.
Et pour les syndicats danois, “la clé”, c’est justement “l’éducation”. Chaque salarié a droit à deux semaines de formation rémunérée par an. En 2000, le Danemark a consacré 0,86 % de son PIB à la formation, deux fois plus que la France. “Nous répétons à nos adhérents de profiter de toutes les offres de formation continue, souligne Thorkild E. Jensen. Car avec la mondialisation, nous devons augmenter notre productivité. Notre sécurité viendra de notre remise en question permanente.”
Le Figaro, 9 février 2005
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".