Le plus célèbre s’appelle Prozac. Les autres ont pour nom : Zoloft, Seropram, Effexor, Floxyfral… Ces antidépresseurs sont des IRS, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, une substance chimique fabriquée par le cerveau, dont ces médicaments facilitent le développement. Cinq millions de Français – dont deux-tiers de femmes – en consomment. Un succès phénoménal : en 1991, 7,6 millions de boîtes étaient vendues dans l’Hexagone ; 40 millions en 2002.
Guy Hugnet, ancien cadre de l’industrie pharmaceutique, dénonce ce succès, pour lui injustifié, dans son livre Antidépresseurs, la grande intoxication. Il estime qu’ils ne sont réellement efficaces que pour un patient sur trois. Soit autant qu’un placebo. Ces médicaments auraient donc un effet curatif avant tout psychologique, et variable selon le malade. Pire, ils entraîneraient des effets secondaires très indésirables : des études anglo-saxonnes citent “une augmentation du risque de comportement suicidaire” que provoquent certains antidépresseurs.
Guy Hugnet explique leur succès planétaire par le lobbying commercial intense des firmes privées, américaines pour la plupart, qui les fabriquent. La durée d’exploitation des brevets ne dépassant guère les dix ans, il faut rentabiliser au maximum le produit. Quitte à créer la demande ? Guy Hugnet avance deux chiffres qui témoignent de ce matraquage : 35 % du chiffre d’affaires mondial de l’industrie pharmaceutique est consacré au marketing, contre 16 % à la recherche.
11 milliards : En 1986, avant l’arrivée du Prozac, les ventes d’antidépresseurs dans le monde représentaient 481 millions d’euros. Aujourd’hui, elles frôlent les 11 milliards, et devraient atteindre les 12,7 milliards en 2007.
50 % du marché mondial des antidépresseurs est tenu par les Etats-Unis.
300 milliards : Le marché mondial de médicaments (global) est estimé à près de 300 milliards d’euros. Le budget de l’État français en 2002 était, comparativement, de 266 milliards d’euros.
Neuf diagnostics de dépression sur dix sont établis en France par des généralistes, selon un rapport de la Caisse nationale d’assurance-maladie en 2001. Des médecins qui manquent de formation en la matière. En 1998, l’Observatoire national des prescriptions notait que “plus d’un tiers des antidépresseurs sont prescrits en dehors des indications fixées par les autorités sanitaires”. “La question de la formation des généralistes est centrale, estime l’association France-Dépression. Avec la baisse du nombre de psychiatres, le problème va de plus en plus se poser dans les années qui viennent”. Actuellement, selon Guy Hugnet, 90 % de la “formation continue” des généralistes à la dépression est prise en charge par… l’industrie pharmaceutique.
La plupart des antidépresseurs ne peuvent être prescrits qu’en cas de “dépression majeure caractérisée”. En réalité, ils le sont souvent aussi pour les dépressions légères et, depuis quelques années, pour des pathologies qui n’ont pas toujours de lien établi avec la dépression : boulimie, TOC, tabagisme, phobies sociales…
Selon une étude de la Caisse nationale d’assurance-maladie publiée l’an dernier, 120 000 enfants et adolescents de moins de 18 ans en France consommeraient des antidépresseurs. Certains de ces médicaments sont autorisés pour un public non adulte, mais près de 30 % des consommateurs de moins de 15 ans prendraient des antidépresseurs contre-indiqués pour leur tranche d’âge.
Les agences sanitaires censées autoriser la mise sur le marché des antidépresseurs sont-elles indépendantes ? C’est la question posée par Guy Hugnet, qui rappelle que 60 % des fonds de ces structures européennes et françaises proviennent de taxes et de redevances versées par les firmes pharmaceutiques privées. “Peuvent-elles refuser cette manne qui les fait vivre ?”, s’interroge-t-il, accusant à demi-mot les agences de manquer de liberté dans leurs jugements médicaux.
L’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) se défend d’être achetée. “Nous sommes indépendants, explique un de ses cadres. Les firmes ne décident rien, elles paient des taxes, que leur médicament soit validé ou pas. Quand vous payez des impôts au fisc, avez-vous le fisc à votre botte pour autant ?” Entre 1997 et 2001, l’industrie pharmaceutique américaine a dépensé 303 millions d’euros en lobbying.
20 minutes Lyon, 2 décembre 2004
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".