“Je pense à Dieu depuis que j’existe, et je ne reconnais à personne plus qu’à moi le droit d’en parler.”
“Ne disputons pas sur la nature et les attributs de Dieu ; tenons-nous-en à la définition vulgaire : celui-là est athée, qui nie dogmatiquement l’existence de Dieu. Or, je fais profession de croire et dire que nous ne pouvons légitimement rien nier ni rien affirmer de l’absolu ; c’est une des causes pour lesquelles j’écarte le concept divin de la morale… Qu’on ne me fasse pas athée, quand ma philosophie même s’y oppose.”
L’athéisme est “encore moins logique que la foi”.
“L’existence de Dieu ne se prouve ni a priori, ni a posteriori, parce qu’il n’a ni avant ni après. On le voit, on le sent, on le pense, on le parle, on le réfléchit, on le raisonne. Il est la nécessité, l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire le principe et le complément de tout ; il est l’Unique et l’Universel, embrassant toutes les vérités dans une chaîne infinie. Nous saisissons çà et là quelques anneaux, quelques fragments plus ou moins étendus de cette chaîne ; l’immensité de son ensemble nous échappe. Quiconque émet une pensée, par cela seul nomme Dieu ; toutes nos sciences ne sont que des expositions partielles ou inachevées de la science absolue, laquelle est le scitum et le fatum de Dieu même.”
“Le premier devoir de l’homme intelligent et libre est de chasser incessamment l’idée de Dieu de son esprit et de sa conscience, pose-t-il en principe, car Dieu, s’il existe, est essentiellement hostile à notre nature... Nous arrivons à la science malgré lui, au bien-être malgré lui, à la société malgré lui : chacun de nos progrès est une victoire dans laquelle nous écrasons la divinité.”
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“L’humanité, comme un homme ivre, hésite et chancelle entre deux abîmes : d’un côté la Propriété, de l’autre la Communauté.”
“La Propriété, en fait et en droit, est essentiellement contradictoire, et l’est par cette raison même qu’elle est quelque chose ; en effet, la Propriété est le droit d’occupation et en même temps le droit d’exclusion ; la Propriété est le prix du travail et la négation du travail ; la Propriété est le produit spontané de la société et la dissolution de la société ; la Propriété est une institution de justice, et la Propriété c’est le vol.”
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“Proudhon ? Aujourd’hui, qui pense à lui ?
Les plus instruits de nos contemporains résument sa pensée en quelques formules lapidaires telles que “La propriété, c’est le vol”, “Dieu, c’est le mal”, “Je suis anarchiste”. Or ces formules, sorties de leur contexte, trahissent gravement Proudhon.
Certains assurent que plusieurs des thèmes “humanistes” de la Constitution Pastorale Gaudium et Spes [Concile Vatican II !] se trouvent en filigrane chez P.-J. Proudhon, nourri de la Bible et qui se veut héritier des prophètes. Au lecteur d’en juger… Si cela était, il faudrait seulement y voir une preuve de l’aptitude traditionnelle de l’Église à reconnaître le vrai partout où il se trouve, et le chemin parcouru en un siècle par les catholiques de notre pays.”
Présentation de P.-J. Proudhon, genèse d’un antithéiste, 1969
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“Tous les commentateurs sans exception s’accordent à voir en lui un moraliste, “l’un de nos plus grands moralistes”, en même temps que le “père de la morale laïque”. (…)
À l’athéisme glacé de Marx, il préfère un antithéisme brûlant.”
Pierre Haubtmann, P.-J. Proudhon, genèse d’un antithéiste, 1969
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“À plusieurs reprises, depuis une cinquantaine d’années, des essais furent tentés pour constituer ou ranimer une tradition proudhonienne qui permettrait au socialisme français de s’opposer au marxisme.
Nous condamnons ses erreurs, nous repoussons ses blasphèmes, nous en appelons à lui-même, à son bon sens, des excès où il se laisse entraîner, mais jamais, entre lui et nous, ne se produit cette rupture totale et définitive qui rend tout dialogue impossible.
Beaucoup le prirent pour un communiste, ou pour un anarchiste vulgaire.
Certes, ce n’est que par, un contresens massif qu’on a pu le ranger parmi les “maîtres de la contre-révolution”. Proudhon, il est vrai, s’est montré dur pour ces “pauvretés politiques” qu’étaient à ses yeux le principe des nationalités, le régime parlementaire ou le suffrage universel.
Proudhon a toujours protesté, “et le plus sérieusement du monde”, contre le qualificatif d’athée. “Je pense à Dieu depuis que j’existe”, déclare-t-il fièrement, “et je ne reconnais à personne plus qu’à moi le droit d’en parler.”
Bref, pas plus que pour un vulgaire “anarchiste”, il ne voulait qu’on le prit pour un “athée” vulgaire. Lui-même, au reste, prononçait ce verdict : “L’athéisme se croit intelligent et fort : il est bête et poltron”.
Cependant, c’est aux déistes, qu’il réserve ses sarcasmes les plus mordants. Le vieux fond catholique de la race conspire ici avec l’audace de la pensée pour lui dicter ses jugements sur la pâle religion de l’Être suprême.
Quoiqu’il affecte de dire de lui-même qu’il n’est point mystique, il ne veut pas davantage qu’on le dise positiviste, et il trouverait même ce dernier mot “on ne peut plus sot en philosophie”, s’il n’avait “autant de respect pour son auteur” [Comte !].
On a souvent noté que, dans ses dernières années, Proudhon s’était beaucoup rapproché des positions “conservatrices”. La chose est vraie pour la politique générale. Elle l’est surtout pour la politique religieuse. On le voit vers 1860, à l’étonnement de beaucoup de ses amis, prendre violemment parti contre l’unité italienne et s’opposer à Mazzini pour soutenir la papauté.
Quant à lui, il veut être “catholique par position” et il ne craindra pas de passer même pour “clérical”. Considérant “avant tout les choses de fait”, il voit que “la religion tient encore une grande place dans l’âme des peuples”, que toute mesure persécutrice aurait pour effet certain “d’aviver la passion religieuse et de rendre le pouvoir civil odieux”, et qu’au surplus, lorsque le culte établi vient à faillir, tant qu’une transformation profonde ne s’est pas opérée dans les consciences, “il se forme aussitôt des superstitions et des sectes mystiques de toute sorte” qui sont un fléau pour la société. La religion traditionnelle, notamment en France, “c’est encore, pour l’immense majorité des mortels, le fondement de la morale, la forteresse des consciences”. Aussi l’homme d’État devra-t-il se garder de l’ébranler.
Rien en tout cela, on le voit, qu’un sain réalisme, accentué par l’expérience, ne suffise à expliquer.
Proudhon n’a d’ailleurs pas attendu d’avoir vieilli pour célébrer la sagesse incluse dans la tradition, ni pour déplorer les ravages d’une “libre pensée” [Comte !] qu’il ne voulait pas laisser confondre avec sa foi dans la Justice. Cette libre-pensée a “tout disséqué, tout détruit”, disait-il déjà dans les Confessions ; elle a mis partout “le chaos” ; elle a mêlé le juste et l’injuste, et la liberté qu’elle prône, n’ayant ni lest ni boussole, est celle de tous les crimes”… Un tel langage n’a rien non plus pour nous surprendre, il est conforme à tout ce que nous savons de la doctrine de notre auteur et de son souci d’austérité morale.
Mieux qu’Auguste Comte, quoique d’une tout autre façon, il témoigne que l’homme ne peut donner à la métaphysique ni à la théologie un congé définitif.
Jusqu’à ce moment, pensait-il, il n’avait fait encore que polémiser sur Dieu ; à présent, sa décision était enfin prise, “irrévocable” : contre l’Être éternel et absolu des religions et des métaphysiques, il avait opté pour l’idée Progrès, dont il ne lui restait plus désormais qu’à tirer les conséquences…”
Henri de Lubac, Proudhon et le christianisme, 1944
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“Aucun écrivain n’a exprimé, avec plus de force que Proudhon, les principes de cette morale que les temps modernes ont vainement cherché à réaliser :
Il y a cinquante ans, Proudhon signalait la nécessité de donner au peuple une morale conforme aux besoins nouveaux : une morale absolument débarrassée de toute croyance religieuse.”
Georges Sorel, Réflexions sur la violence, 1908
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".