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Document – “Diminuer la turbulence des masses” !

Histoire de l’École

Pierre Giolitto – 2003

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“Diminuer la turbulence des masses”

Les enfants des classes populaires, auxquels s’adressent les écoles de charité, puis la “communale” de J. Ferry, ont plus particulièrement besoin de bénéficier d’une solide éducation morale, afin d’apprendre à accepter la masse de privations qui est leur lot quotidien, et à ne pas regimber contre la situation souvent misérable qui leur est faite. “Je demande, déclare Thiers à l’époque de la loi Falloux (1850), que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir.” “Le but de l’éducation, écrivait déjà le baron de Gérando en 1832, n’est pas de donner à l’enfant pauvre des goûts, des besoins, des habitudes auxquels il ne pourrait satisfaire, mais de lui apprendre au contraire à se passer de ce qui sera hors de sa portée (…), à trouver le contentement dans le sort qui lui est échu.” Contentement qui aura pour lui saveur d’éternité, car, “par les bienfaits de l’éducation, il pourra dans sa vie laborieuse goûter un bonheur inconnu à ceux qui sont comblés des dons de la fortune”. Bienheureux donc les pauvres, car l’instruction les rendra plus heureux que les riches !

De tout temps [!], l’école a été considérée, selon la forte expression de Furet et Ozouf, comme un “outil d’apaisement des luttes sociales”. Pour les régimes conservateurs du 19ème siècle, l’instruction est de nature à dessiller les yeux des ouvriers, les empêchant ainsi de se laisser abuser par les fallacieux arguments des spécialistes de la subversion sociale.

Le docteur Le Borgne en fait, en 1868, l’éclatante démonstration. “Les ouvriers, écrit-il, auraient repoussé les fausses doctrines de ceux qui voulaient en faire les instruments de leur ambition, s’ils avaient su, dès l’enfance, que la soumission est un devoir sacré, que les émeutes sont des crimes en même temps que des folies.” Les “utopies écloses au sein du socialisme” vont à l’encontre des véritables intérêts des ouvriers. Pour peu qu’ils aient disposé d’un minimum d’instruction, ceux-ci s’en seraient avisés. “C’est l’ignorance des notions élémentaires des principes sur lesquels repose la société qui a fait prévaloir, en 1848 surtout, les doctrines antisociales.” En effet, “si la classe ouvrière n’eut point été plongée dans la plus complète ignorance, elle eût davantage respecté la propriété, sachant bien que son bien-être y était attaché, et que, quand le capital qui sert à payer les salaires et à les alimenter est menacé, bientôt l’argent se cache, les commandes cessent, les ateliers se ferment, et les ouvriers sont sans travail”.

Ce message de résignation sociale, l’école ne se fait pas faute de le transmettre. “Les gens doivent apprendre de l’éducation toutes les raisons qu’ils ont d’apprécier leur condition”, écrit l’inspecteur d’académie de Montauban en 1869, tandis qu’un manuel d’instruction civique explique longuement :

“1- La société française est régie par des lois justes, parce qu’elle est une société démocratique.

2- Tous les Français sont égaux en droit ; mais il y a entre nous des inégalités qui viennent de la nature ou de la richesse.

3- Ces inégalités ne peuvent disparaître.

4- L’homme travaille pour s’enrichir ; s’il n’y avait pas cette espérance, le travail s’arrêterait, et la France tomberait en décadence. Il faut donc que chacun de nous puisse garder l’argent qu’il a gagné.”

Que les tenants d’une société utopiquement égalitaire, et autres dangereuxpartageux”, se le tiennent pour dit. L’empereur des Français ne leur laissera jamais appliquer leur funeste doctrine.

Le sentiment des républicains qui instaurent, dans les années quatre-vingts, la gratuité, l’obligation et la laïcité de l’enseignement primaire, ne diffère pas fondamentalement, en matière d’organisation sociale, de celui qui prévaut sous le second Empire. “Il faut aussi mettre en garde nos enfants, fils d’ouvriers, contre les théories égalitaires qui hantent souvent les ateliers, écrit en 1883 l’inspecteur du Pas-de-Calais. Celles-ci “font grand bruit, poursuit l’honorable fonctionnaire, et la question de la propriété reste l’une des plus complexes et des plus discutées (…). Sans être de profonds théoriciens, il vous sera facile de montrer à vos élèves : 1- l’impossibilité de partager les biens entre tous et de donner à chacun selon ses forces et son mérite. 2- la nécessité d’assurer au travail la stabilité du capital créé par lui. C’est enlever au travail son plus puissant stimulant que d’admettre l’extinction de la propriété avec le travailleur (…). Respect de la personne, respect de la propriété, respect de la loi, tels sont les trois grands principes qu’il faut graver en caractères ineffaçables dans la conscience et le cœur de nos élèves.”

Et l’inspecteur général Félix Cadet de renchérir, affirmant que “le travail et le capital sont frères, et non frères ennemis”, et que le peuple serait mieux inspiré, plutôt que de prêter une oreille attentive aux “réformateurs mal avisés”, d’engranger, par la prévoyance et l’épargne, “des ressources pour les mauvais jours”. Il n’est pas sans intérêt de constater que l’école républicaine déifie littéralement l’épargne, voyant en elle la plus sûre garantie de l’ordre social et du bonheur des hommes. C’est par le travail et l’épargne qu’on gravit les échelons de la société, ne cesse-t-elle de répéter aux fils d’ouvriers et de paysans auxquels elle inculque les rudiments du savoir. Certes, richesse et considération sociales ne se manifestent pas du jour au lendemain. Mais tout vient à point à qui sait attendre. “Mon père n’avait rien, j’ai quelque chose, dit le cordonnier Grégoire, héros de manuels moralisants publiés par Lavisse en 1887. Mes enfants, s’ils font comme moi, doubleront, tripleront ce que j’aurai laissé ; mes petits-enfants seront des messieurs. C’est ainsi qu’on s’élève dans la société.”

Même optimisme utopique [!] chez l’inspecteur général F. Pécaut, l’une des têtes pensantes de l’école républicaine. Pour le “pêcheur d’âmes” (J. Ferry) de ce “doux couvent laïque” qu’est alors l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, il convient de rappeler incessamment aux élèves de l’école primaire “qu’il n’est donné à personne d’arriver à l’aisance, à l’indépendance, à la sécurité matérielle du lendemain, sinon par la pratique des vieilles vertus aujourd’hui passées de mode, la tempérance, la sobriété, l’économie rigoureuse, la privation obstinée des commodités et des plaisirs ; que c’est folie d’espérer se passer jamais de ces austères vertus, fût-ce dans la meilleure des organisations sociales ; que c’est là l’A.B.C. de la sagesse économique pour l’ouvrier comme pour le petit-bourgeois, et qu’à penser autrement, on ne fait que se griser de mots et se préparer à soi, aux siens, à son pays une ruine inévitable et méritée”.

Les socialistes ont tôt fait d’apprécier l’ouverture sociale du régime républicain, et ils ne tardent pas à renvoyer dos à dos l’enseignement laïque et l’enseignement congréganiste. Pour G. Deville, dans la Revue socialiste de 1880, l’un comme l’autre de ces deux enseignements “déprime et stérilise les esprits, immobilise les intelligences, qu’il façonne au joug de l’ordre établi”. Le journal Le Socialiste fait écho en 1906 à ces propos, affirmant que l’enseignement prodigué par l’école républicaine n’est qu’“un message pour la subordination”. Ce qui n’est peut-être pas une appréciation aussi dénuée de fondement qu’il y pourrait paraître.

Pierre Giolitto, Histoire de l’École, 2003

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