Quand la République est
envoûtée par les sorciers
On se disait aussi. C’était trop beau pour être vrai. Chirac élu en 1995 et Balladur battu. Réélu en 2002 et Jospin liquidé avant le deuxième tour. La France qui conquiert la. première Coupe du monde de football de son histoire en 1998. Et la perd lamentablement quatre ans plus tard. Ce n’était pas normal. Pas prévu, pas rationnel. C’était de la magie. De la vraie. Avec sorciers, maléfices, amulettes, aiguilles, poupées de chiffon, entrailles de crapaud séché et tutti quanti. Ne riez pas. Ne vous cachez pas derrière une incrédulité convenue. Ne risquez pas bêtement d’agacer les esprits.
On savait déjà que les présidents de la République laïque et rationaliste avaient tous leurs voyantes, leurs tireuses de cartes et d’avenir.
Dans un livre (La Sorcellerie au cœur de la République, par Sylvie Jumel, éditions Carnot) qui paraît ces jours-ci, on va plus loin. On apprend que Chirac comme Mitterrand ont leurs sorciers attitrés, qui du Sénégal, qui de Mauritanie. Qui viennent voir leurs clients à l’Élysée ou à l’Hôtel de Ville. Jamais éconduits, les sorciers. Jospin, lui, n’a jamais eu de grand marabout. Bien attrapée, la forte tête protestanto-rationaliste ! Plus extraordinaire encore Sylvie Jumel, qui n’oublie pas que, dans une autre vie, elle est un haut fonctionnaire sérieux ayant exercé comme magistrat financier à la Cour des comptes, donne des chiffres : 15 000 € pour une action ponctuelle. 76 000 € pour une mission d’importance (500 000 francs) Pas donné, le sorcier. Pour porter l’équipe de France au-delà d’elle-même, jusqu’au titre mondial, cela aurait coûté la bagatelle de 1,5 million d’euros. C’est l’Élysée qui aurait payé. Les fonds secrets ont du bon. Mais, en 2002, les mêmes n’ont pas remis le couvert. Les sorciers sénégalais s’en sont alors donné à cœur joie. Ils n’ont pas raté Zidane. Il faut dire que Chirac avait d’autres chats à fouetter. Jumel nous raconte drôlement que les sorciers se sont plaints à elle. Le président réélu aurait des retards de paiement. Les fonds secrets ne sont plus ce qu’ils étaient !
On ressort interloqué de la lecture de ce petit ouvrage. Entre terreur et incrédulité, fascination et ironie. Et puis on songe que tous ceux qui, dans les journaux, leurs éditoriaux, leurs sondages, avaient annoncé la victoire inéluctable d’Édouard Balladur à la présidentielle de 1995, tous ceux qui avaient craché sur Aimé Jacquet au printemps 1998, ce pelé, ce galeux, ce nul, si mal habillé d’ailleurs, tous ceux qui avaient écrit des livres avec Lionel Jospin, tous ceux qui partageaient son mépris pour le président sortant, tous ceux enfin qui avaient déjà brodé une deuxième étoile sur le maillot bleu des joueurs français, tous ceux-là adoreront le livre de Sylvie Jumel. Ils ne pouvaient pas se tromper. Seuls les esprits de l’au-delà ont pu changer le destin tel qu’ils l’avaient d’avance décrit. La France d’en haut est rassurée. Merci pour elle, Sylvie.
Le Figaro, 21-22 septembre 2002
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".