Il est bien connu, à Gauche en particulier, qu’un des grands “Acquis Sociaux” fut la “Conquête du Droit Syndical”, sous la glorieuse 3ème République, en 1884. Cela mérite qu’on y regarde de plus près, mes amis !
Ce dont il s’agit est la Loi du 21 mars 1884, promulguée par Waldeck-Rousseau, Ministre de l’Intérieur de Jules Ferry. Cette équipe nous a donc fait cadeau de la Liberté Syndicale.
Que dit la Loi ?
1- Des ouvriers “exerçant la même profession” ont le droit de former des Syndicats ayant “pour objectif exclusif leurs intérêts économiques” ;
2- “Les Statuts et Noms des administrateurs desdits syndicats devront être déposés à la Préfecture de Police ; communication des statuts devra être faite au Procureur de la République”;
3- Les Articles 414 et 415 du Code Pénal sont maintenus. À juste titre dira Mermeix (1907), puisque “la grève est un état anormal, un état de guerre”.
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Nos grands experts en conquêtes ouvrières ajoutent à cela des précisions et commentaires savants :
• Ainsi, G. Lefranc écrit : le Ministre de l’Intérieur, invita alors par circulaire les Préfets à aider la mise en œuvre de la sainte Loi : “Les syndicats ont toutes les sympathies de l’administration”, “ne donnez pas à croire que vous prenez parti” entre patrons et ouvriers.
• “Les employeurs refusent de voir dans les représentants des syndicats des délégués de leurs ouvriers. Aux yeux du patron, les fluctuations de l’économie exigent une modification incessante du prix de revient ; c’est accepter une intolérable limitation de son autorité que d’admettre un syndicat”. “On ne reconnaît pas le syndicat : parfois on pourchasse les ouvriers qui tentent de le constituer”.
• Le Parlement de la République fait bientôt pleuvoir force “lois scélérates” anti-salariés ; et les assauts sanglants de l’armée “républicaine” écrasent les grévistes. En 1893, “33 syndicats qui ont refusé de se mettre en règle à la Préfecture de Police sont dissous” par le Gouvernement républicain.
• “La Préfecture de police ne dédaigne pas de subventionner la propagande Anarchiste, afin de susciter une concurrence aux Collectivistes (marxistes)”.
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Quelles sont les vraies leçons à tirer de cette histoire de la “conquête” de la Liberté Syndicale ? Attention ! il y a des vérités difficiles à regarder en face…
• On ne peut nier, et fort heureusement, que tout au long des 150 années écoulées de Barbarie Intégrale dominante, il y eut des luttes sévères et héroïques de la part du Salariat et de la Masse nationale, contre le Parasitisme capitaliste et son Despotisme politique. On ne peut nier non plus que la même époque fut celle d’une cascade de “lois sociales” qui meublent notre actuel Code du Travail. Mais la vraie question est la suivante : quel est le lien réel qu’on est en droit d’établir entre les deux séries de phénomènes ? La version autorisée est que les Luttes ont imposé les Lois “protectrices du Travail” ; que ces dernières constituent des “conquêtes” réelles, offensives, faisant reculer progressivement le Grand Capital et avancer les Masses Laborieuses. On ajoute à cette thèse : primo, qu’il faut rester vigilants, protéger nos acquis contre les remises en cause incessantes de “la droite et la réaction” ; secundo, que ces acquis sont “encore insuffisants”, qu’il reste beaucoup à faire pour compléter le Code du Travail et parvenir à une parfaite “parité” entre partenaires sociaux.
• Tous ces beaux discours sont bien jolis. Malheureusement, il y a des faits saillants des 150 ans écoulés de prétendues conquêtes sociales, qui réduisent ces jolis discours à de misérables parlotes démagogiques. Pourquoi l’époque concernée fut-elle celle de Krachs financiers à répétition, celle de coups d’États périodiques, et de Guerres chaque fois plus meurtrières : massacres des guerres civiles, boucheries des guerres étrangères, et génocides des guerres coloniales ? À ce dernier propos, celui de la Colonie, il est étonnant que les vantards des Acquis Sociaux couvrent d’un silence de plomb ce qu’il en fut dans notre Empire, autrefois le 2ème du monde, et par exemple sous Jules Ferry, surnommé “le Tonkinois”, président du Conseil de Waldeck-Rousseau. Ces prétendus “amis des travailleurs”, avaient alors la responsabilité directe de l’Outre-mer, qu’ils revendiquaient fièrement à l’Exposition Coloniale ; en ont-ils profité pour mettre en application, en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, la “Clause Sociale” qu’ils exigent aujourd’hui des marionnettes du Néo-colonialisme, y compris dans leur “francophonie” et leur “europhonie” ? Non point du tout ! La mode, alors était à la “pacification des indigènes”. Dernière question gênante : pourquoi aujourd’hui, où nous croulons paraît-il sous les acquis sociaux, sombrons-nous par ailleurs dans une déchéance sans fond de la conscience sociale ? Pourquoi sommes-nous enveloppés d’une atmosphère fétide, Raciste, Sécuritaire, Militariste et Colonialiste (cela se nomme “Ingérence Humanitaire”). Pourquoi l’état présent de prostration et de Servilisme ayant envahi le Salariat lui-même, cloué dans la triade Humiliation-Insécurité-Impuissance ? Certes, les bonzes syndicaux taisent tout cela, puisque quand ils parlent des Acquis Sociaux, c’est de leurs acquis à eux qu’ils parlent, douillettement installés au Conseil Économique et Social, dans les Zinzins (caisses de Retraite, etc.), dans les planques du Fonctionnarisme et du Mutuellisme, et aux Comités Centraux d’Entreprises.
• Mais je n’ai pas tout dit. J’ai même gardé le meilleur pour la fin. Pourquoi apprend-on par hasard, accidentellement (car un silence soigneusement entretenu est de règle à ce sujet), que tous les fameux acquis sociaux, sans exception, firent l’objet d’une résistance acharnée de la part de ceux-là mêmes qui menaient les grandes Luttes sociales. Pourquoi dut-on en réalité imposer de force les Lois Sociales à l’élite du Salariat et du Peuple ? D’après la version officielle des gens de Gauche, cela semble complètement incompréhensible ! Et pourtant, “les faits sont là” ! G. Lefranc écrit en courant, oubliant de donner tout détail et document sur la question :
“Les Guesdistes (socialistes) et Syndicalistes révolutionnaires dénoncèrent avec indignation” la Loi de 1884 accordant la liberté syndicale. Le congrès syndical de Lyon de 1886 “se prononce contre la Loi à une forte majorité”.
Or, il est aisé de vérifier que l’on eut la même résistance indignée, et brisée de la même manière, et quand le dictateur Badinguet (Napoléon III) eut la bonté de nous accorder le Droit de Grève (1864), et quand la République de la Revanche nous fit don des “Retraites Ouvrières et Paysannes” (R.O.P. – 1910).
Ainsi, le Droit à la Retraite est annoncé dans “La Voix du Peuple” du 2.01.1910 sous le titre : “L’escroquerie, la duperie, des Retraites Ouvrières”…
Comment expliquer la résistance systématique et systématiquement brisée, de l’Avant-Garde populaire, aux Lois Sociales ? Les prêtres du syndicalisme officiel n’ont pas de peine à s’en sortir : il leur suffit d’insinuer qu’une telle résistance n’était que combat d’arrière-garde, utopie irréaliste, le fait “d’intégristes” de la Sociale, barrant finalement la voie à la grande aventure du Progrès. Simple comme bonjour !
• Veut-on connaître le fin mot de l’histoire des Acquis Sociaux ? Je vous cite les “bons auteurs” de l’histoire du mouvement ouvrier :
“De 1864 à 1884 (du droit de Grève au droit Syndical), Syndicalisme et État s’accoutument l’un à l’autre et se pénètrent l’un l’autre. On s’achemine peu à peu vers l’intégration du Syndicalisme dans l’État”. “La loi Waldeck-Rousseau s’engage avec prudence dans la voie qui mène à l’intégration du Syndicalisme dans l’État”.
En 1933, Paul-Boncour dira : il faut “franchir une étape nouvelle, faire ce que la Monarchie a réussi, s’incorporer des forces neuves ; il faut intégrer le Syndicalisme dans l’État ; non pas pour dissoudre l’État, mais pour le fortifier par la profession organisée”.
• Bilan des Lois Sociales :
- Sous couvert d’État “neutre”, la Masse salariale et populaire se trouve prise dans l’ÉTAU de l’arbitraire patronal et du despotisme gouvernemental.
- Après 1845, dans l’opération de Dressage du Salariat qui sera une œuvre de longue haleine, l’État despotique prend en charge l’intérêt de la Classe exploiteuse devenue caste Oligarchique ; sans diminuer le moins du monde la pression économique des Employeurs sur le terrain, puisque les exploiteurs sont devenus des parasites, ne rencontrant plus l’obstacle d’un mouvement Associatif authentique de la classe adverse.
- C’est que dans la logique d’un Syndicat intégré à l’État, tout ce qui n’est pas Syndicat Jaune se trouve immédiatement “hors du droit”. Une sous-caste de Parasites économiques s’élève, celle des Bureaucrates Syndicaux. Désormais, toute voix ayant la velléité de parler du Syndicat historique authentique, est étouffée par le chœur des Affranchis du salariat, qui entonne l’hymne des Lois Sociales accompagnée, si besoin est, par l’orchestre combiné de la Garde Républicaine et des Gardiens de la Paix.
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Le mot de la fin :
G. Lefranc, faisant le tableau de la période 1877-1891, qualifie sans ambages l’action des Socialistes du Parti Ouvrier :
“Les Guesdistes, contre le Syndicalisme de Pacification Sociale”. Nous sommes bien renseignés : Paris fut “pacifié” aussi énergiquement qu’Hanoï, Dakar et Alger…
Le même auteur soupire : Hélas, “dans la psychologie des salariés, il reste des vestiges de l’époque où le Syndicalisme se développait hors de la légalité officielle, voulant suivre sa loi propre. Les syndicalistes conservent un certain mépris du Droit. L’absence de sens Juridique est une caractéristique du syndicalisme français”.
Quand une autorité reconnue de l’histoire ouvrière ose écrire de telles choses, on se demande jusqu’où il peut aller dans son non-dit !
Devant les vérités, dures à regarder en face, faire l’autruche n’arrange rien ; ce n’est que reculer pour mieux sauter. La vérité est que, derrière la légende des Acquis Sociaux, il y a le fait que le vrai Syndicalisme, le Syndicat Rouge, s’est fait avoir jusqu’ici par le faux Syndicalisme, le Syndicat Jaune.
Seulement, une fois qu’on a bien compris de quoi il retourne – et il fallait bien que ça arrive ! – c’est alors qu’on peut reprendre le refrain de la Semaine Sanglante de J.B. Clément :
“Oui, mais…
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront !
Et gare à la revanche,
Quand tous les pauvres s’y mettront !”
Extrait de “Jaunes et Rouges”, Église Réaliste, 2000
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".