Dans nos pays dits “riches”, en Occident, au Nord de la planète, il n’y aura pas d’éveil du peuple, de perspective sérieuse d’émancipation sociale, sans que l’on acquiert une conscience solide que depuis le début de l’“époque contemporaine”, depuis 1848, précisément depuis cette date où naquirent à la fois le “suffrage universel” et la “législation sociale” (Code du Travail), c’est également depuis ce moment que le sort fondamental des salariés est devenu celui de simples “indigènes” écorchés par quelques familles de “gros colons”, appuyés dans leur tâche par une bande de béni-oui-oui qui n’est autre que l’armature des “centrales syndicales”. Par suite, le fond de la Question Sociale, c’est simplement le fait que couve dans la société une véritable “guerre d’indépendance”, mais une guerre d’indépendance civile.
Jules Guesde, le fondateur du premier parti marxiste en France (1879), parlait déjà d’un “1789 ouvrier” ayant pour but d’“abolir la traite des blancs” (juin 1880). Dès 1872, il disait : “il existe une nation dans la nation, une France dans la France”.
Evidemment, dans l’état présent d’abaissement sans précédent de la conscience sociale, nos propos ne peuvent manquer d’apparaître comme des plus fantaisistes ou dangereusement provocateurs. Raison de plus pour nous élever avec force contre le mensonge et l’hypocrisie ambiants, rompre le charme du régime néo-barbare en place, autrement plus affirmé que du temps des guesdites ! En effet, en 1880, le capitalisme parasitaire était loin encore de prendre la forme que nous lui connaissons en 1995, celle de la technocratie dominante du “secteur public” et celle de la bureaucratie tentaculaire des “assistantes sociales” répandues à tous les niveaux.
Le critère absolu, la pierre de touche qui permettront de garantir le réveil social, c’est qu’une élite du salariat proclame courageusement, et sans complexe aucun, que tout le bavardage officiel des syndicats sur les “acquis sociaux”, la “démocratie” et le reste ne sont qu’un tas d’immondices, du terrorisme intellectuel de pharisiens dont le seul objet est l’apologie indigne du statut d’“indigènes” sociaux qui est imposé au salariat actuel. Malgré le risque évident que cela comporte, arracher le masque des “affranchis” du salariat qui se posent en “défenseurs” patentés des travailleurs, cela est la tâche la plus sacrée, de salut public. La simple revendication du respect de la “nation salariale”, la seule conquête de son “identité” sociale, exigent de la manière la plus impérative que les syndicats et partis de gauche, tels que nous les connaissons, sont la première ligne de défense du régime néo-barbare en place.
L’apologie obscène et arrogante de l’indigénat salarial a une longue tradition, depuis Victor Hugo jusqu’à Jacques Duclos ; nous avons la nôtre, il ne faut pas l’oublier, celle de la dignité salariale, depuis les Quarantuitards jusqu’aux Soixantuitards ! Néanmoins, nous avouons la domination continuée et renforcée des béni-oui-oui sur le salariat jusqu’ici. Jusqu’ici, messieurs ! “Gare à la revanche”, comme dit la chanson des communards… “Jusques à quand” diraient-ils encore, aurons-nous des Syndicats qui prospèrent en se plaçant sous la tutelle du Préfet de police ? Jusques à quand aurons-nous des partis de Gauche qui prospèrent sous la tutelle du Président de la République, “chef des armées” ?
Si on fait bien attention, l’apologie du statut d’indigènes imposé au salariat imprègne intégralement toutes les histoires officielles du “mouvement ouvrier et socialiste” pondues par les Syndicats et la Gauche prostitués. Ceci apparaît dans le fait que tout comme le manuel du ministre de l’Intérieur (le code pénal), les manuels “ouvriers” des “négociateurs sociaux” ne veulent connaître comme époque “sérieuse”, “vivante”, que celle qui commence avec le massacre des “Rouges” en Juin 48 ; alors commence pour eux la société réellement “moderne” du “progrès social”. Pour glorifier cette ère nouvelle où les béni-oui-oui entrent dans la carrière, on utilise deux arguments principaux : vilipender la “loi Le Chapelier” de 1791, et le “capitalisme sauvage” d’avant 1840. Il nous faut apprendre à déjouer cette perfidie, car il ne s’agit là que d’une dénonciation profondément réactionnaire du régime de la bourgeoisie libérale et du capitalisme civilisateur et, finalement, de tout l’héritage civilisé depuis Socrate et Périklès. C’est ainsi que sous couvert de “lois sociales, d’attachement de jésuites à la protection sociale”, ces individus se révèlent comme de dangereux dégénérés sociaux, liés corps et âme à l’ordre civilisé décadent qui domine depuis 1848.
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Qu’en est-il de la loi Le Chapelier ? La nuit du 4 Août 1789 avait aboli tous les “privilèges”, entraînant donc celui des vieilles corporations de métiers. En mars 1791, on supprime solennellement tout régime corporatif : “Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier, qu’elle croira bon”. La loi était bien, comme nous le dit un auteur, “la Marseillaise du travail”. Le rapport résumant les motifs de la loi déclarait : “l’âme de l’industrie est la liberté”. Pour travailler, il n’est plus qu’une condition unique et simple à l’extrême, simplicité que seules les grandes révolutions font éclore : se faire inscrire au rôle des patentes, et payer l’impôt des patentes correspondant. Tout achat de privilèges, les multiples taxes anciennes, tout cela disparaît d’un trait. Aussi, dès 1789, des ouvriers n’attendirent pas pour s’établir à leur compte, malgré les protestations des patrons, clamant : “Nos garçons nous enlèvent les pratiques (clients)”. Simultanément, toutes les entraves au commerce intérieur sont brisées, et l’importation adopte des tarifs modérés de droits de douane, et on établit la propriété des brevets d’invention : “la propriété d’une idée est aussi sacrée que celle d’une terre”. Trois mois plus tard, en juin 1791, Le Chapelier produit cette loi qu’on nous dit odieuse, qui conteste qu’il y eut des intérêts communs aussi bien entre ouvriers qu’entre patrons, et interdit aux uns et aux autres de former des associations. Que dire de cela ? Le Chapelier, qu’on veut faire passer pour un monstre, disait : “dans une nation libre, les salaires devraient être assez considérables pour que celui qui les reçoit se trouve hors de cette dépendance absolue que produit la privation des produits de première nécessité”. En fait, la loi de juin complète celle de mars : Déraciner les monopoles, faire triompher la concurrence. Il fallait vaincre les compagnonnages accusés de manœuvres aussi bien contre les maîtres que contre les compagnons et apprentis rebelles à leur action, et il fallait faire la chasse à la reconstitution indirecte des corporations. Quoi de plus nécessaire à l’époque, du point de vue de la mission historique qu’avaient à remplir les roturiers révolutionnaires, dans une France paysanne de façon écrasante et où les “ouvriers” étaient essentiellement des artisans ? Les bureaucrates du salariat actuel font cependant la fine bouche, veulent paraître surenchérir vis-à-vis des révolutionnaires de 1789, eux qui ne connaissent que la fonction de plats valets du capitalisme parasitaire, quand ils ne se font pas les mitrailleurs du salariat poussé aux insurrections du désespoir ! En réalité, les coups-bas contre les lois de 1791 qui donnent le ton aux “histoires ouvrières” subventionnées des béni-oui-oui ont une origine bien connue : c’est simplement la démagogie anti-89 que cultivait le Corporatisme mussolinien de l’entre-deux-guerres, corporatisme dont les principes triomphèrent dans la Charte du Travail du Maréchal. Tout à l’inverse de la domesticité “ouvrière” de la féodalité financière, le salariat se doit de bien comprendre qu’il lui incombe d’applaudir à la “liberté du travail” proclamée en 1789, que c’est sur la base de cet héritage seulement qu’il peut prétendre instaurer un régime économique propre de coopération générale, qui doit les mettre à leur tour “à leur compte”, mais collectivement comme l’exige la socialisation objective antérieure se traduisant par le marché.
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Les béni-oui-oui syndicaux et de gauche dénoncent dans le même esprit le “capitalisme sauvage” d’avant 1840. La première de nos “lois sociales” fut en effet celle de 1841 concernant le travail des enfants dans les manufactures. On oublie seulement de nous dire que les entrepreneurs libéraux étaient des commandités solidairement et indéfiniment responsables, et que l’armée parasitaire de bureaucrates syndicaux chargés de la mendicité salariale, sont devenus le complément indispensable du nouveau type d’entrepreneurs qui a succédé, celui des technocrates eux aussi parasitaires, des sociétés anonymes irresponsables. En définitive, notre syndicalisme “de paix sociale”, qui s’illustre dans le “paritarisme” multiforme, remplit la seule fonction de “clergé d’entreprise”, tandis que la rue est tenue par une institution-sœur, les mercenaires du régime type-C.R.S. Invoquer le “capitalisme sauvage” d’antan comme un repoussoir ne sert qu’à vanter insidieusement notre système actuel d’insécurité socialisée, l’interdiction totale de tout droit d’association réel dans les conditions actuelles, en même temps que l’absence complète de réel régime représentatif. Ici, nos béni-oui-oui en même temps qu’ils s’avouent secrètement contaminés par le corporatisme, se camouflent derrière une soi-disant tradition socialisante qu’ils trouvent dans le Colbertisme, lui aussi porté au pinacle avant-guerre par des “réformateurs” aux intentions malsaines.
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Veut-on faire un tableau comparatif de l’indigénat colonial et du salariat indigène métropolitain?
Toute la question est, d’un côté, d’asseoir la domination des gros colons et des compagnies concessionnaires ; de l’autre côté, il s’agit d’assurer l’impunité de la bancassurance et du complexe militaro-industriel. La seule différence est que notre féodalité financière ne doit plus trôner sur l’“outre-mer” mais sur le peuple métropolitain lui-même, devenu outre-mafia, réduit à une masse de “sujets coloniaux” intérieurs ; ce sont les nouveaux “protégés français” que nous sommes.
Evidemment, le régime néo-barbare se pare de toutes les qualités que l’on faisait éclater naguère dans les inoubliables Expositions coloniales. Voici donc ce qu’on pense réellement de nous autres dans les hautes sphères : ” Ces populations dont les destinées nous sont soumises n’étaient pas de vrais peuples capables de se conduire eux-mêmes ; elles étaient en proie aux convoitises des voisins, écrasées par la tyrannie de dynasties indigènes ou d’aventuriers féroces, menacées de disparition par toutes sortes d’infériorités : la colonisation les a sauvées”. Ainsi, l’écrasement des Rouges en 1848 et l’instauration du despotisme démocratique, du régime des Devoirs de l’Homme, nous devons nous-même les bénir, nous ayant délivré du funeste régime des partis, de l’emprise des démagogues, de l’anarchie qui nous menait à la mort.
Mais, précisément, tout le problème était de commencer à “dompter” le peuple, avant de penser l’“apprivoiser” ! Ce ne fut pas mince affaire d’arriver à obtenir des “populations pacifiées et soumises”. C’est même au fond une tâche continuellement à reprendre et de plus en plus délicate ! Enfin, on y parvient à l’aide de l’état de siège, des généalogies qui vont des “bonnets à poil” de 1848 jusqu’aux “pacificateurs” d’aujourd’hui nommés compagnies de C.R.S. et “brigades anti-émeutes”, constamment sur le qui-vive. D’ailleurs, il y a toujours la réserve principale discrètement sur pied de guerre : ainsi les “tirailleurs et saphis” d’outre-mer deviennent paras et légionnaires, susceptibles de “libérer” énergiquement le pays conquis sur le peuple salarial. On a effectivement fait “donner la troupe” en 1947, et la chose était tout à fait au point en mai 68. Bref, ceci prolongé par le régime permanent des préfets, superpréfets et l’essaim des indicateurs, l’on organise “une colonie cohérente”, “un territoire d’un seul tenant”, rendu libre aux rapaces des “gens d’affaires”, nomenklatura de l’État-patron y comprise.
Le “maintien de l’ordre” reste néanmoins un apostolat, demandant une intervention qui doit ne connaître aucun relâchement. Car il est toujours des îlots d’insoumis du salariat, patents ou latents. C’est ce qu’on appelle les catégories “tout à fait frustes, qui vivent dans des conditions proches de l’animalité, incapables de se prêter au désir de progrès de la métropole, des dévoyés hostiles à la fois à leurs congénères et aux européens”. Dans ces demi-brutes, il faut naturellement entendre les banlieues chaudes, les troupes de chômeurs, les incorrigibles “groupuscules gauchistes”, les familles immigrées qui “refusent de s’assimiler”, etc. Quant aux “européens”, ils se réduisent à la bande de parasites dominante et ses satellites. Ils sont résolus et l’avouent sans détour à maîtriser par tous les moyens toute cette population d’indigènes toujours plus ou moins “insoumis”, traitée pêle-mêle d’“esclavagistes, persécuteurs de missionnaires, incapables de respecter un traité, s’entêtant dans la mauvaise foi, se fermant obstinément à l’influence française dispensatrice de la civilisation moderne”. “Veillons tout spécialement à soumettre au contrôle du gouvernement les écoles coraniques, à traquer les confréries pénétrées de xénophobie, les dynasties tribales et les sorciers”, car il suffit d’un rien pour qu’il en sorte des “bandes fanatisées par les derviches terrorisant la mère patrie”. Tout cela encore, il faut savoir le décoder ; mais une fois percée la diablerie du régime de République absolue et de droit divin, c’est un jeu d’enfant. Les “esclavagistes” sont ceux-là même qui osent avouer vouloir mettre hors d’état de nuire les loups ravisseurs qui dévorent la chair du peuple ; “les persécuteurs de missionnaires” sont ceux qui osent résister à l’insolence des politiciens de gauche et bureaucrates syndicaux ; les “confréries coraniques”, ce sont ceux qui se permettent de prêcher l’évangile communiste, de l’émancipation sociale ; le reste à l’avenant… Mais que les bravaches de la “modernité”, de la “démocratie” et de la “laïcité” se rassurent : des chances se présenteront encore de “sièges héroïques”, tels ceux des communards ou des spartakistes ; l’“épopée coloniale” intérieure, l’“Œuvre française” continue ! Surtout pas de “timidité sans excuse”, de “scrupules par trop naïfs” : “Ces peuplades désirent être assujetties” ! Dira-t-on que la conquête coloniale intérieure et la consolidation de “nos possessions” sont contraires aux principes de 1789 ? C’est là, répondait le foncièrement républicain Jules Ferry, “l’homme des audaces et des vastes plans”, “Ferry-le-Tonkinois”… de la “métaphysique politique” ! On a le grand exemple, dans la “der-des-der” de 14/18, des “socialistes” Albert Thomas et Gustave Hervé rivalisant de zèle pour galvaniser les “poilus” dans la boucherie. Cavaignac le boucher de 48, Clémenceau “briseur-de-grèves”, Georges Séguy en juin 1968 qui appelle à la chasse aux sorcières contre les “protagonistes de l’anarchie”, les étudiants “provocateurs”, les “groupuscules gauchistes”, fait dissoudre ceux-ci en rappelant la loi contre les Ligues fascistes de 1936, fait interdire les manifestations de rue, expulser les étrangers “indésirables”, évacuer la Sorbonne et l’O.R.T.F., licencier les grévistes obstinés ; ces professionnels de la “cause des travailleurs” n’oublient pas d’appliquer aux indigènes métropolitains du salariat leur politique antérieure de votes renouvelés des “pouvoirs spéciaux” contre le peuple algérien soulevé !
Car, on ne saurait trop insister sur ce point, la “politique indigène” appliquée au salariat par la féodalité financière ne saurait réussir sans s’assurer la collaboration des béni-oui-oui et “indigènes instruits” que représentent les leaders syndicaux et des partis de gauche. Notre régime de démocratie dictatoriale a une très riche et longue expérience en ce domaine de corruption et d’embrigadement de l’“élite indigène” du salariat, depuis qu’on fit figurer “l’ouvrier Albert” dans l’équipe des criminels “républicains” de 1848, jusqu’à l’annexion actuelle de “S.O.S. racisme”… Il est toujours assez aisé de mettre dans sa poche tels ou tels apostats du mouvement des salariés, et les plus “forts en gueule” sont évidemment les plus recherchés. Chacun connaît les tristes destinées des arrivistes du journal Libération de 68, celle des Régis Debray “conseiller de sa majesté le Pt.”, etc. Du temps de la colonie, on avait de tels “chasseurs de têtes” subversives, qui se faisaient une spécialité de choisir parmi les “dirigeants tribaux”, tels “chefs suprêmes” ou ce qu’on nommaient des “hommes de substance” (ayant une certaine influence), dont on éprouvait avec soin le “sens de la responsabilité”. Les colons pillards du salariat goûtent lesdits éléments “fidèles”, auxquels ils savent ouvrir de bonnes carrières de kapos des “sujets non assimilés”, ce qui s’appelle “ouvrir l’accès aux affaires du pays aux hommes dévoués”.
Le grand art de la pacification est, en effet, de “passer des conventions” avec des “tribus fidèles”, lancées ensuite contre les autres ; entendez : lancer les paysans contre les salariés, les cadres contre le personnel de base, une clique syndicale contre l’autre, etc. Par cette tactique, “le bienfait de la France” se fait sentir, l’on dit qu’on a “fait cesser les vendettas et razzias” tribales, tout en laissant subsister le “droit coutumier”. Bref, la “licence” de la presse est éliminée par la censure, le “désordre” des réunions publiques et défilés supprimé par l’état d’urgence, et on a laissé en vie quelques “sociétés de secours mutuels” et les prud’hommes. C’est l’histoire de 1848. On “montait” autrefois aux colonies les métis-mulâtres contre les noirs, à l’avantage des blancs ; aujourd’hui la mode est d’exciter les professions indépendantes et libérales, et surtout “l’encadrement” contre le salariat proprement dit. Ceci est grandement facilité, il est vrai, par le fait que c’est la foire d’empoigne inévitable parmi les laquais du parasitisme dominant ; d’où les guerres sournoises et byzantines du genre cégétistes contre cédédistes… Un bon volant de tels “auxiliaires indigènes”, disait-on, est “vraiment utile au prix de quelques précautions”, c’est-à-dire, en clair, une fois qu’ils ont donné des gages sérieux de servilité, et tant que le sale boulot qu’on leur confie ne les a pas menés à un discrédit évident.
Supposons enfin l’état jugé “normal” établi grosso modo, celui de “l’Union française une et indivisible”, le peuple mis au pas et serrant son poing dans sa poche, l’orgie des belles affaires allant son train. L’on chante la joie des “acquis sociaux”, c’est-à-dire le fait que les “notables indigènes” qui “assistent l’autorité administrative” sont bien casés, accroissant encore la charge qui pèse sur le salariat ligoté – toutes les miettes jetées à l’armée des laquais arrivent à faire une bonne assiette ! Voilà de belles années de “croissance” en vue, sans menace de quelconque “entrave à la liberté du travail”, le bondissement de la rentabilité et de la compétitivité étant admirablement “négocié”. Le “collège électoral” indigène s’est engagé, par des “accords” triomphants, de type Matignon ou Grenelle, l’“administration indirecte” pour dépouiller à l’aise les salariés et autres couches populaires fonctionne à merveille. Il y a “collaboration organisée de l’administration française et indigène”, autrement dit des “partenaires sociaux”. On se félicite hautement du “rapprochement des colonisateurs et des colonisés”, de la féodalité financière et du salariat indigène. Ce rapprochement, claironne-t-on, est accepté joyeusement par les indigènes ; la “puissance tutélaire” se loue de ce que “l’atmosphère de défiance et d’hostilité soit heureusement dissipée”. Qui oserait se plaindre, d’ailleurs, tant éclate que la “société tutrice” assume ses devoirs envers le salariat indigène ? N’a-t-on pas une “Assemblée consultative” territoriale qui plébiscite régulièrement les autorités dans les échéances électorales réglées de façon parfaite, et qui enregistre ponctuellement ce qu’avait établi préalablement l’expression de la masse des “sondés” ? N’a-t-on pas le pullulement des “Conseils” dont le type est le comité d’entreprise, qui s’échine à éplucher les comptes sociaux de la boutique pour en remontrer aux managers, puis ne manque pas de signaler si la peinture des vestiaires commence à s’écailler et enfin exulte dans la distribution tant attendue du “colis de Noël”. Une telle émulation ne peut que produire des miracles, et les colons pillards ne manquent pas de vanter le “bienfait apporté à l’hygiène et l’assistance médicale de ces malheureuses populations” qui forment le salariat indigène. La “société tutrice” ne craint pas d’être démentie : elle a véritablement “rendu la colonie vraiment productive”. Dans l’euphorie du moment, l’aristocratie du capitalisme parasitaire se laisse aller à un élan d’amour pour ses protégés : “on croit trop volontiers que l’indigène de nos colonies est un incurable paresseux” !
Tout le beau monde de gros colons de la finance et de béni-oui-oui syndicaux tombe évidemment des nues à chaque 1er Novembre 1954 ! L’indigène “fidèle” paraît d’un coup un maudit “fellagah”, d’une ingratitude diabolique pour “tout ce qu’on a fait pour eux”, agent sournois au “coup de couteau dans le dos”, “fanatique” terroriste, agent d’une “rébellion” infâme, certainement attisée par “l’étranger”, qui se propose de “déchirer la patrie”. Décidément, nous voilà revenus aux “pétroleuses” de 1871 ! Quelle terrible affaire de diriger un Empire ! Il y a des moments où on serait tenté de tout laisser tomber et de renoncer tout à fait à “donner du travail” à cette masse d’indigène. On verrait bien, sans nous, ce qu’ils deviendraient! Ah ! ils ne seraient pas longtemps avant de nous rappeler ! Ils nous étaient si chers : peut-être avons-nous été trop bons pour eux. Non ! Nous n’accepterions de les reprendre que s’ils venaient réellement à résipiscence !
Extrait de “L’Indigène et le Plébiscite”, Église Réaliste, mai 1995
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".