“Le point de vue démocratique dans cette question [de la gratuité], le voici : c’est qu’il importe dans une société comme la nôtre, à la France d’aujourd’hui, de mêler, sur les bancs de l’école, les enfants qui se trouveront un peu plus tard mêlés sous les drapeaux de la Patrie. Il y a là, pour la conservation et le début de notre unité sociale, des moyens d’autant plus puissants qu’ils s’appliquent à des esprits plus malléables et des âmes plus sensibles. Oui, voilà le véritable point de vue politique de la question.”
Jules Ferry à la chambre des députés, 13 juillet 1880
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“On allègue le droit du père de famille. Loin de moi la pensée de le nier ; mais n’ai-je pas déjà démontré que ce droit a des limites ? Et, de même que personne ne réclame pour le père de famille le droit de livrer son enfant à un maître incapable et non muni des garanties de capacité et de moralité exigées par la loi, de même personne ne revendiquera sérieusement, au nom du père de famille, le droit de faire instruire son enfant, ailleurs qu’à l’ombre de son foyer, dans des conditions et des doctrines contraires aux principes, aux doctrines de la conservation de l’État. (…)
Tel est en effet, le jeu naturel de la liberté illimitée, en matière d’enseignement, et l’enchaînement nécessaire des faits, dans un État qui laisse aller les rênes de l’esprit public et se proclame indifférent à toutes les doctrines : vous aurez, d’une part, l’institut des Jésuites, à l’usage des amis de l’ancien régime, mais vous ne vous étonnerez pas de voir naître, d’autre part, à Paris ou dans quelque autre grande ville, d’autres écoles, des écoles professionnelles peut-être, ou des écoles d’apprentissage, dans lesquelles les vaincus de nos dernières discordes auront certainement le droit de faire instruire leurs enfants à eux, non point d’après un idéal qui remonte au-delà de 1789, mais en vue d’un idéal emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871 [Commune de Paris].”
Jules Ferry devant la chambre, 26 juin 1879
“Eh quoi ! Est-ce la liberté du père de famille et du foyer qu’on entrave en mettant obstacle à ce que des milliers d’enfants soient enfermés dans des établissements soustraits en fait, sinon en droit, à la surveillance de l’État ; à ce que ces jeunes cerveaux, ces esprits essentiellement malléables, soient livrés à des leçons qu’on ne connaît pas – ou plutôt que l’on connaît trop ? (Applaudissement) (…)
Oui ! Dix ans de ce laisser-aller, de cet aveuglement, et vous verriez tout ce beau système des libertés d’enseignement qu’on préconise, couronné par une dernière liberté : la liberté de la guerre civile !” (profonde sensation)
Jules Ferry à Épinal, 23 avril 1879
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“Non, certes, l’État n’est point docteur en mathématiques, docteur en lettres ni en chimie. (…) Si il lui convient de rétribuer des professeurs ce n’est pas pour créer ni répandre des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe de l’éducation : il s’en occupe pour y maintenir une certaine morale d’État, une certaine doctrine d’État, indispensable à sa conservation.”
Jules Ferry à la chambre, 26 juin 1879
“Vous n’êtes pas seulement, messieurs les professeurs, des maîtres de langue, d’arithmétique ou de technologie, vous êtes, vous devez devenir des éducateurs. (…)
Vous devez inculquer à vos élèves, en un temps où tant de passions et d’utopies font appel aux vains rêves, aux folles convoitises, cette idée qu’il y a, dans les choses humaines, des réalités plus fortes que les volontés humaines, des nécessités qui tiennent à la nature même des choses : que l’humanité est dirigée non par le caprice, mais par la science. (…)
Oh ! Alors ne craignez pas d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère, (…) cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !”
Jules Ferry à la Sorbonne, lors de la séance d’ouverture des cours de formation des professeurs, le 20 novembre 1892
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M. Jules Ferry, président du Conseil, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts : (…) Vous me demandez : “enseignez-vous la morale religieuse ?” (…) Mais vous le voyez bien, puisque c’est dans les programmes !…
M. Buffet : On peut les changer !
M. Delsol : Mettez-le dans la loi.
M. Le président du Conseil : Du jour où est apparue, non plus seulement dans les discussions de la presse ou dans les livres de philosophie, mais dans la réalité parlementaire et dans les discussions politiques, vivantes, qui ont lieu dans les deux Chambres, cette idée de la séparation de l’enseignement moral et de l’enseignement confessionnel, les adversaires de la séparation n’ont mis en avant qu’un argument, un seul, toujours le même : “Vous voulez faire une école sans Dieu !”
Eh bien, jamais personne, entendez vous bien, ni M. le rapporteur de la loi sur l’enseignement primaire à la Chambre des députés, ni la Chambre des députés, ni le ministre, n’ont accepté cette commode fin de non recevoir de l’école sans Dieu. Ils n’ont pas cessé de protester contre cette accusation. (…)
En revanche, messieurs, de ce mot “religieux”, de ce rapprochement des deux mots “morale religieuse”, quel abus ne peut-on pas faire ? Allons donc au fond des choses ! Vous nous entraînez dans les probabilités pessimistes de vos esprits, peu bienveillants pour ce qui se fait aujourd’hui, et, par conséquent, disposés à mal voir l’avenir ; vous nous entraînez dans des régions où certainement la société française ne s’aventurera jamais. (…)
Supposons cependant que cette société soit devenue la proie de tous les sectaires, est ce que vous croyez que l’épithète “religieuse” ait jamais embarrassé un sectaire ? C’est le caractère de toutes les doctrines, et notamment des sectes philosophiques les plus hardies de notre siècle, d’avoir mis la religion sur leur drapeau. Est ce que vous oubliez qu’il y a eu et qu’il y a encore peut être une religion saint-simonienne ? La prétention de Saint-Simon à fonder une religion, un nouveau christianisme, comme il disait, est assez manifeste. Eh bien, cette prétention, elle est le caractère même des revendications les plus audacieuses de notre temps. Et Pierre Leroux ?… c’était aussi un religieux ; il avait sa religion et tous ceux qui sont ici et qui l’ont connu peuvent l’attester ; ses livres sont là aussi pour le prouver. (bravos à droite et à gauche) (…)
C’est donc, messieurs, une formule élastique. Et notez que cette formule élastique par elle-même, a pris, quoique vous en pensiez, dans le langage juridique un caractère de précision beaucoup plus grande… et il ne faut pas employer dans la langue législative des expressions à double sens ; il faut laisser aux mots “religion” et “religieux” leur sens naturel, clair, profond, celui qui s’attache à une religion positive… Et comme vous avez voté le contraire hier, messieurs, je vous adjure, messieurs, de ne pas vous donner un démenti en adoptant aujourd’hui l’amendement qui vous est proposé.
(Très bien ! à droite et applaudissements répétés à gauche.)
Jules Ferry, devant le Sénat, 2 juillet 1881
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“Nous avons promis la neutralité religieuse, nous n’avons pas promis la neutralité philosophique, pas plus que la neutralité politique”.
Jules Ferry, Discours au Sénat, 31 mai 1883
“Il y a deux choses dans lesquelles l’État enseignant et surveillant ne peut pas être indifférent : c’est la morale et la politique, car en morale, comme en politique, l’État est chez lui ; c’est son domaine et par conséquent sa responsabilité”.
Jules Ferry, Discours au Sénat, 5 mars 1880
“Vous devez enseigner la politique parce que la loi vous charge de donner l’enseignement civique, et aussi parce que vous devez vous souvenir que vous êtes les fils de 1789 qui a affranchi vos pères et que vous vivez sous la République de 1870 qui vous a affranchi vous-mêmes. Vous avez le devoir de faire aimer la République et la première Révolution”.
Jules Ferry au Congrès pédagogique, 25 avril 1881
“Quand il s’agit de l’enseignement civique – non de l’enseignement moral, qui sera d’autant mieux donné qu’il sera donné sans livre – mais de l’enseignement civique, qui contient tout ce qui doit entrer de politique à l’école, qui doit ne point inspirer la haine des institutions actuelles, est-ce que l’État peut rester indifférent ? Non. Donc je voudrais voir tous les manuels d’instruction civique… envoyés à bref délai au ministère pour qu’il les examinât au point de vue politique et leur conférât, après examen, le droit de cité. Peut-on voir dans une mesure de ce genre une violation de la neutralité promise par le gouvernement ? Non, Messieurs. J’ai promis la neutralité religieuse ; je n’ai jamais promis la neutralité politique”.
Jules Ferry au Congrès pédagogique des instituteurs, 3 avril 1883
“Apprendre à l’ouvrier, d’abord, les lois naturelles avec lesquelles il se joue dans l’exercice de son métier, mais lui apprendre également la loi sociale, lui découvrir les phénomènes économiques, lui donner des notions justes sur les problèmes sociaux, c’est en avancer beaucoup la solution. Ce qui n’était dans d’autre temps qu’une résignation sombre à des nécessités incomprises, peut devenir… une adhésion raisonnée et volontaire à la loi naturelle des choses”
Jules Ferry, 3 mai 1883
“Dans les écoles confessionnelles,… on exalte l’Ancien Régime et les anciennes structures sociales. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes… inspirés… d’un idéal socialiste ou communiste emprunté… par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871… Non, n’en déplaise aux sophistes de la liberté à outrance,… le remède qui consiste à opposer aux menées de l’Internationale noire celle de l’Internationale rouge n’en est pas un : ce serait la fin de la France… ce serait la liberté de la guerre civile.”
Jules Ferry, 1879
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Parmi les griefs accumulés qui constituent le malaise et le danger de pression, et donnent à la popularité de cette Chambre une sérieuse atteinte, rencontrez vous, je le demande à tous les hommes de bonne foi, un grief tel que celui-ci : la Chambre des députés n’a pas assez de pouvoirs ? Se plaint-on des empiétements du pouvoir exécutif ? L’opinion juge-t-elle que le pouvoir exécutif est trop assuré, que le gouvernement pèse d’un poids trop lourd sur le pays ?
Est-ce d’autorité ou de liberté qu’il a besoin ?
Mais cela crève les yeux et toutes vos consciences en répondent. Quand l’agitation plébiscitaire s’étend et se propage, quand un homme surgit et, sans autre programme que l’outrage au Parlement, se fait suivre par la multitude : cela ne veut pas dire que le pays aspire à des libertés nouvelles, cela signifie qu’il ne se sent pas assez gouverné.
Ce que l’instinct des foules reproche à cette heure à la République c’est de ne pas répondre suffisamment à un besoin profond, persistant et que les plus belles théories ne détruiront pas, car il constitue une disposition congénitale en quelque sorte de notre siècle : le besoin d’être gouverné.
Il veut être libre, sans doute ce peuple de France. C’est de tous les peuples du monde celui qui a répandu le plus de sang pour la liberté. Mais il veut être gouverné.
Eh bien son instinct profond, sa conception naïve ne s’accommodent pas d’un gouvernement non seulement discuté dans son principe, mais, en outre, bafoué, outragé, calomnié dans ses organes depuis le plus élevé jusqu’au plus humble, livré aux violences d’une presse sans frein, dont les privilèges démesurément accrus par votre généreuse imprudence, ont fait dans l’État comme un quatrième pouvoir qui exerce contre tous les autres, contre l’honneur de tous les citoyens, une véritable tyrannie.
Elles ne reconnaissent pas non plus, ces masses instinctives et impulsives un gouvernement conforme à la vieille notion que les siècles leur ont inculquée, dans une Assemblée qui incarne en elle toute la réalité du pouvoir et qui se laisse impunément, depuis de longs mois, accuser et braver par une faction dont l’audace s’accroit avec notre patience. (…)
Ce qu’il faut réviser, c’est nous-même. C’est notre mode de travail, qui est défectueux, notre indiscipline, notre individualisme qui désorganise le parti et rend le problème de la stabilité ministérielle de plus en plus épineux.
Ce sont surtout nos mauvaises habitudes qu’il faut avoir le courage de confesser, notre ingérence administrative qui ne laisse au pouvoir exécutif aucune indépendance, aucune sécurité aux agents du pouvoir, qui détruit la hiérarchie, la bonne administration, qui a plus fait, croyez le bien, pour déconsidérer et dépopulariser le Parlement que les attaques des factions. (…)
Le parti républicain a voulu trois choses :
D’abord, il a voulu refaire l’armée ; puis, refaire le gouvernement sur les bases du suffrage universel, c’est-à-dire la République. Mais il a voulu aussi refaire l’âme nationale par l’école nationale. (Applaudissements.)
Nous estimions qu’il n’y a pas de rénovation sociale, de rénovation nationale, il n’y a pas même de rénovation militaire sans une grande rénovation morale. Et cette rénovation morale, nous avons voulu la faire par l’école. Et nous avons mis dix ou quinze ans à la faire, cette école nationale ! (Applaudissements répétés)
Jules Ferry à l’Assemblée Nationale, 14 février 1889
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".