Exposé de Gérard Lauvergeon,
vice-président du Cercle Jean Zay 18,
sur le thème de la laïcité française (extraits) :
L’origine des idées de Ferry
Le républicanisme
C’est celui d’une famille de petits notables vosgiens acquis aux Lumières (on y vénère Voltaire [surtout condorcet !]) et aux principes de 89 [non ! Thermidor !], mais hostiles au désordre, à la dictature et à la Terreur [voilà !] : la République doit être modérée et conservatrice.
Le positivisme
Comme A. Comte, Ferry veut fonder la politique sur la raison et la connaissance objective de la société, mettre fin au cours chaotique de l’Histoire [il faut en finir avec la révolution !] par l’instauration d’un régime positiviste, séparer le temporel du spirituel et détacher la morale de toute référence théologique, développer l’éducation pour éclairer l’opinion publique [“éclairer” !…] et régler le problème social.
Le protestantisme libéral
Les industriels protestants d’Alsace avec lesquels Ferry est lié par son mariage prônent le paternalisme social et la morale de Kant fondée sur l’exigence de la conscience est totalement dégagée des croyances. Voir le rôle des protestants dans le cabinet de Ferry (ex : Ferdinand Buisson, ancien pasteur).
Condorcet
Pour Ferry qui découvre son œuvre à la veille de 1870, c’est un modèle. Il fait sienne l’idée que c’est sur l’Instruction publique que se joue l’avenir de la République. L’enseignement gratuit doit avoir une base scientifique et un fondement moral : il doit former des citoyens et être dispensé aux filles comme aux garçons.
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Ainsi, peu à peu, apparaît à Ferry le régime à construire :
• Une République qui soit acceptable par la majorité des Français.
Ils sont encore – surtout – ruraux et attachés à la propriété, hostiles à l’aventure révolutionnaire.
• Une République laïque.
Elle doit séparer strictement le temporel du spirituel : pour cela il convient d’enlever l’école à l’Église tout en respectant les croyances, d’ordre privé.
• Une République qui rassemble.
Il faut obtenir, dans l’amour de la patrie, la réduction du fossé entre les deux jeunesses et le développement de l’entente entre les “classes”.
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L’œuvre de Ferry, considérable, doit être appréciée sur le long terme, elle a permis l’élévation du niveau de culture des Français, elle a été un outil de promotion sociale pour beaucoup, elle a assuré une cohésion nationale car l’école a répandu l’amour de la patrie et de la République (Cf. l’Union sacrée de 1914). Elle a trouvé une adéquation avec les besoins d’une grande partie de la société. Même les ouvriers qui ont le souvenir de la Commune et de Fourmies et qui adhèrent à l’anarcho-syndicalisme ont été fortement imprégnés par elle. Et le ralliement d’une partie des catholiques a été réalisé. Ainsi Ferry a marqué la France comme peu d’hommes d’État ont pu le faire.
Mais Ferry a été très impopulaire de son temps du fait d’une superposition de haines qui lui vient de nombreuses parties de l’opinion.
C’est d’abord “Ferry-famine”, surnom attribué durant le siège de Paris car il est le délégué au ravitaillement. Hostile à la Commune et au socialisme, il est haï du petit peuple parisien.
Puis c’est “Ferry-l’Allemand”, suspecté d’être favorable à Bismark.
Enfin, en 1885, c’est “Ferry-Tonkin” avec l’affaire de Lang-Son qui l’oblige à démissionner : il a lancé la Troisième République dans la conquête coloniale.
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Ferry, c’est pour la bonne société le laïc anticlérical, le franc-maçon, le marié civilement. Pour les radicaux, c’est l’opportuniste qui défend les intérêts des gros, qui refuse la suppression du Concordat. Pour les boulangistes dont il dénonce le danger, il devient l’ennemi à abattre (il est l’objet d’une tentative d’assassinat en 1887 de la part d’un déséquilibré, il est conspué dans la rue). Même chez les opportunistes, il est peu apprécié car il voudrait un grand parti cohérent, un gouvernement de législature, libre des pouvoirs au lieu du gouvernement d’Assemblée.
Ainsi, il est battu par Sadi Carnot à la présidence de la République en 1889, il est battu aux élections législatives dans les Vosges la même année. Une élection sénatoriale et un hommage solennel des enseignants à la nouvelle Sorbonne apporteront du baume à une fin de vie morose, de même que son élection à la présidence du Sénat quelques semaines avant sa mort en 1893.
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Ferry repose à Saint-Dié et non au Panthéon. On peut s’en étonner, mais il présente aux yeux des hommes politiques de gauche des tares ennuyeuses : l’aventure coloniale, l’insensibilité à la question sociale, le maintien de certains privilèges de la bourgeoisie, l’attaque contre les langues régionales, une éducation “nationaliste”.
Pourtant, il a su réaliser l’enracinement de la République et de la laïcité et donner au régime, par l’école, une âme, un souffle sur lequel le pays a vécu pour l’essentiel jusque dans les années 1960.
Gérard Lauvergeon (Cercle Jean Zay), 9 avril 1997
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18 Jean Zay fut ministre de l’instruction publique de Léon Blum…
Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".