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Document – École laïque

La Laïcité, Que sais-je ? – 1996

L’école est l’élément essentiel du combat pour la laïcisation de la société.

La question scolaire

Il nous faut donc maintenant étudier de façon particulière l’un des domaines essentiels dans lequel s’est manifestée la laïcisation de la société : l’école. Le processus d’émancipation par rapport à la domination de l’Église s’y est engagé plus de vingt ans avant le vote de la loi de Séparation. Le premier grand combat de la laïcité a concerné l’éducation et l’enseignement. Comme le dira plus tard Léon XIII :

“L’école est le champ de bataille où se décide si la société restera ou non chrétienne.”

Comment, en effet, former des citoyens à la liberté et aux devoirs républicains si l’Église possédait un pouvoir considérable de façonnement des consciences ? C’était, bien sûr, le cas dans l’Ancien Régime, quand la position de l’Église “d’État” était dominante. En fait, l’Église n’a mis en place une “véritable armature éducative” qu’en réaction à la Réforme. Les Jésuites en particulier, fer de lance de la Contre-Réforme, ont pour but la “direction des âmes”.

L’Église surveille l’orthodoxie de l’enseignement, censure les livres. “Tous les établissements sont placés sous la surveillance des chefs de congrégation ou des évêques.” Le système éducatif s’organise pratiquement hors du contrôle de l’État. Bref, l’Église bénéficie d’un “monopole de fait”.

1De la Révolution à la laïcisation. – À la Révolution, les vieilles Universités, qui géraient l’enseignement secondaire et supérieur, perdent leurs privilèges. L’Église est privée de son pouvoir sur les écoles, et ses biens sont mis à la disposition de la Nation par le décret sur la Constitution civile du clergé. Diverses autres mesures complètent le démantèlement des positions de l’Église. Mais un décret de la Convention (décembre 1793) marque un tournant : il affirme la liberté de l’enseignement, tout citoyen étant habilité, pourvu que certaines conditions soient respectées, à ouvrir une école. Ce principe sera réaffirmé par la Constitution de l’an III, mais le Directoire – et plus encore le Consulat – adopteront une attitude plus défavorable à l’enseignement libre. Le processus s’accomplira avec l’Empire, qui, lui, détruira la liberté de l’enseignement. Il s’agissait, comme le dit Guizot, de grouper “en un corps qui leur prêtât sa force et sa grandeur tous les hommes chargés de l’enseignement”.

Ce “corps”, ce sera l’Université impériale, disposant du monopole de l’enseignement. Mais les écoles de l’Université devront baser leur enseignement sur les “préceptes de l’Église catholique”. La loi du 10 mai 1806 porte que “nul ne peut ouvrir d’école et enseigner publiquement sans être membre de l’Université”. Cela vaut pour le supérieur et le secondaire. L’enseignement primaire échappe de fait à l’Université : il est sous la dépendance des Frères des Écoles chrétiennes, qui forment également les instituteurs. Les congréganistes y seront nombreux. De plus, “l’instituteur se trouve… placé naturellement sous la dépendance du curé”. En 1814, nouveau tournant : la Restauration proclame la liberté de l’enseignement. L’Université, qui subsiste cependant, mais “pénétrée” par l’Église, est attaquée à la fois par les libéraux, critiquant une telle pénétration, et par les catholiques conservateurs, défenseurs intransigeants de la liberté de l’enseignement et refusant un tel vestige de l’Empire, même dominé par les cléricaux. La Charte de 1830 proclame à nouveau cette liberté. Dans l’enseignement primaire, à côté des écoles primaires publiques peuvent maintenant exister des écoles privées (et l’Église garde un contrôle de fait sur l’école primaire officielle). En ce qui concerne l’enseignement secondaire, la loi Falloux de 1850 y renforce la position de l’Église catholique. Les établissements libres, qui sont subventionnables, se multiplient. Par ailleurs, la loi Falloux confessionnalise encore plus l’enseignement primaire.

“La loi du 15 mars 1850 non seulement fait faire un premier pas à cette liberté de l’enseignement que nous réclamions avec tant d’insistance, mais elle a fait entrer le prêtre à tous les degrés dans la direction et la surveillance de l’enseignement officiel.”

La liberté de l’enseignement supérieur sera proclamée par une loi de 1875. Après de vifs débats, le monopole de la collation des grades par l’État sera réaffirmé.

2L’école publique : les lois Ferry. – La 3ème République diminue d’abord le pouvoir discrétionnaire de l’Église dans l’enseignement libre : celle-ci conserve sa liberté doctrinale, mais doit désormais “arriver à donner à ses élèves le même degré de connaissance que celui des élèves de l’enseignement public”. Mais c’est dans les années 1880 que les principes actuels de laïcité et de neutralité de l’enseignement sont mis en œuvre. À une (re)confessionalisation de l’enseignement répond un laïcisme militant. La loi du 28 mars 1882 substitue l’“instruction morale et civique” à l’instruction morale et religieuse. Les programmes sont laïcisés, les emblèmes religieux doivent être enlevés (mais le préfet peut agir de façon prudente et modérée en respectant les situations locales et en évitant la précipitation). La loi du 30 octobre 1886 laïcise le personnel enseignant dans le primaire. Pour l’enseignement secondaire, le principe de laïcité du personnel n’a qu’une valeur coutumière, consacrée par un arrêt du Conseil d’État de 1912. Le principe de laïcité est complété par le principe de neutralité, lequel peut faire l’objet de deux interprétations opposées.

Il y a d’abord la conception défendue par Ferdinand Buisson :

“L’Église est logique, il faut être avec elle ou contre elle. L’école laïque n’est pas une chose sans nom ou sans caractère. Il faut opter : ou l’école rationaliste ou l’école cléricale. Il n’y a rien entre les deux.” 14

Il y a ensuite la “neutralité sereine”, selon Jules Ferry :

“Au moment de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé par ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis bien un seul, présent à votre classe pourrait, de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu’il entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, si non, parlez hardiment car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre sagesse, c’est la sagesse du genre humain… Le maître devra éviter comme une mauvaise action tout ce qui dans son langage ou dans son attitude blesserait les croyances religieuses des enfants confiés à ses soins, tout ce qui porterait le trouble dans leur esprit, tout ce qui trahirait de sa part envers une opinion quelconque un manque de respect ou de réserve.” 15

On notera que cette opposition entre deux philosophies de la neutralité (même si les positions générales de Ferry et de Buisson sont plus complexes que ne le laissent apparaître ces brèves citations) est elle-même problématique et suscite, aujourd’hui encore, des discussions animées dans le camp des défenseurs de la laïcité : d’une part, l’idée d’une laïcité forte de ses convictions rationalistes, anticléricale (ce qui est normal) mais parfois aussi antireligieuse (ce qui est très discutable, dans la mesure où une partie du laos ne veut pas voir l’enseignement officiel dénigrer ses croyances : une chose consiste à retirer à la religion son pouvoir “politique”, une autre à utiliser la sphère publique pour mener un combat antireligieux).

Jules Ferry, dont la conception dominera l’enseignement public en France, l’a bien compris, sans doute jusqu’à un point où sa proposition, tolérante et généreuse, risque de devenir intenable : “une opinion quelconque” (à respecter), ce n’est pas n’importe quelle opinion, puisqu’il en est qui offensent directement les valeurs humanistes et démocratiques 16. Comment imaginer en effet, aujourd’hui, un professeur “neutre” vis-à-vis du nazisme et du libéralisme politique, ou encore à l’égard du fanatisme religieux et de l’ouverture d’esprit ? Nous verrons plus loin, quand nous étudierons pour eux-mêmes les fondements philosophiques de la laïcité, comment il est possible de justifier la différence entre des opinions diverses et respectables dans le cadre du pluralisme des valeurs, et des prises de position qui sapent le principe de laïcité lui-même. Mais la voie à suivre est ici périlleuse : la laïcité elle-même est controversée, et il ne faudrait pas qu’au nom d’une de ses interprétations possibles d’autres soient réprimées. Et, en particulier, il serait extrêmement dommageable, sous prétexte des apories de la “position Ferry”, de se rabattre sur un rationalisme dogmatique et intolérant (qu’aurait sans doute récusé Buisson lui-même 17).

Dans l’enseignement public primaire, l’instruction religieuse doit, selon la loi du 28 mars 1882, être donnée en dehors des édifices scolaires et, selon un arrêté de la même année, en dehors des heures de classe. Le principe de neutralité domine également l’enseignement secondaire public. Il n’existe pas d’enseignement public confessionnel de la religion. Pour l’enseignement supérieur, la question ne se pose pas, puisque, comme le disait Liard : “La liberté est le privilège de l’esprit et la condition de la science.”

L’enseignement doit être accessible à tous, et donc éventuellement imposé aux familles, de façon à garantir l’égalité et la formation citoyenne : “La liberté de l’ignorance n’existe pas.” L’obligation impose la gratuité, c’est-à-dire les moyens, pour chacun, de s’instruire. Ce double principe d’obligation-gratuité est réalisé dans l’enseignement primaire, moins parfaitement ailleurs. Il a suscité des critiques d’ordres divers. D’une part, on lui a reproché de mettre en danger le principe de la liberté de l’enseignement, dans la mesure où le choix entre une école gratuite et une autre payante n’en était pas vraiment un pour de nombreux parents. D’autre part, les contribuables payant les frais d’études dans le système de la gratuité, on a pu dire que “les enfants de M. de Rothschild seront élevés aux frais de son concierge”. L’enseignement libre, en tout cas, n’a pas été éliminé par l’institutionnalisation de la gratuité : mais son recrutement est resté essentiellement bourgeois.

3L’école privée : la liberté de l’enseignement. – On l’a vu : la laïcisation des écoles publiques s’est opérée dans le cadre d’une affirmation corrélative du principe de la liberté de l’enseignement. Celui-ci, comme l’indique Colliard, peut être de deux sortes. D’abord, la liberté par l’État : les crédits publics sont répartis entre écoles privées et publiques proportionnellement à la population scolaire. C’est le système qui existe en Belgique depuis l’adoption du “Pacte scolaire” de 1958, ainsi que dans de nombreux autres pays européens. Ensuite, la liberté hors de l’État, qui a caractérisé le système français jusqu’à la loi Debré de 1959 :les écoles privées étant très majoritairement confessionnelles, il apparaissait contraire aux principes de laïcité et de neutralité de les subventionner. La loi de 1959 prévoira la subvention de certains établissements, et à des conditions définies. Pour le reste, elle ne changera pas le système.

A) Le problème des congrégations. – Comment a évolué l’enseignement libre depuis la fin du 19ème siècle ? Une exception importante au principe de liberté était constituée par les congrégations non autorisées : le problème avait déjà été posé à propos des Jésuites sous la Restauration (l’ordre, aboli en 1773 par Clément XIV, sera rétabli en 1814 par Pie VII, puis dissous par Jules Ferry en 1880) et il se manifesta avec plus d’acuité encore à partir des années 1880. Un décret de mars 1880 permit à l’État d’agir contre les congrégations non autorisées, en leur imposant de demander l’autorisation dans un délai de trois mois. L’article 14 de la loi de 1901, qui reconnaissait enfin la pleine liberté d’association, renforça le décret, en disposant :

“Nul n’est admis à diriger, soit directement, soit par personne interposée, un établissement de quelque ordre qu’il soit, ni à y donner l’enseignement s’il appartient à une congrégation religieuse non autorisée.”

Les congrégations étaient donc soumises au régime de l’autorisation préalable, dérogatoire du droit commun ; elles pouvaient être dissoutes par le gouvernement. Les congrégations non autorisées étaient déclarées illicites, aucun de leurs membres ne pouvait diriger un établissement d’enseignement ou enseigner (la mesure visait en particulier les Jésuites) ; des peines frappaient ceux qui en feraient partie. L’autorisation ne fut généralement pas accordée (la Chambre élue en 1902 était très anticléricale), et l’on appliqua la loi de façon stricte. En 1904, même les membres de congrégations autorisées ne furent plus habilitées à enseigner. Après 1914, les congrégations purent exister de fait, et beaucoup de congréganistes se remirent à enseigner. Ensuite, la loi du 8 avril 1942 (régime de Vichy) supprima l’article 14 de la loi de 1901, qui interdisait l’enseignement aux congrégations non autorisées. L’ordonnance du 9 août 1944 n’abrogea pas formellement ce texte de Vichy. Les congrégations enseignent donc légalement, semble-t-il, dans les écoles privées, même si elles ne sont pas (encore) soumises au droit commun des associations.

B) La question des subventions. – Depuis 1945 (et même depuis 1940), la liberté d’enseigner est générale, mais s’exerce toutefois à certaines conditions. L’État se réserve le droit de surveiller les écoles libres. Ce contrôle ne s’exerce pas sur les méthodes. Quant aux programmes, l’État disposant du monopole de la collation des grades, ceux de l’enseignement public s’imposent. L’État vérifie que l’enseignement est conforme à la morale, à la Constitution et aux lois. Quant aux subventions, une évolution a eu lieu, allant de leur interdiction (principe de la liberté “sans” l’État), essentiellement dans l’enseignement primaire, au régime de la loi Debré de 1959. Il ne faut pas croire que les catholiques aient tous et de tout temps été contre l’interdiction et en faveur des subventions : l’abbé Lemire – très isolé – disait, en 1921, à la Chambre :

“Je n’admets pas que l’on mendie sous une forme quelconque l’argent de l’État quand, librement, spontanément, on s’est placé en dehors de lui. Je suis de ceux qui sont tellement soucieux de la liberté qu’ils veulent la conserver complète, intacte. Je ne puis supporter sur ma liberté un contrôle quelconque. Or, si je prends l’argent à l’État, demain il pourra me faire subir son contrôle.”

Effectivement, les subventions supposent toujours une sorte de donnant-donnant : celui qui paie a le droit de contrôler l’usage des fonds qu’il alloue. Mais Michel Debré lui-même concluait son discours de Premier ministre à l’Assemblée nationale le 23 décembre 1959 en soulignant que l’aide financière constituait la garantie de la liberté de l’enseignement. Trois situations sont prévues à cet effet. D’abord, la liberté totale, c’est-à-dire la situation antérieure à la loi Debré (l’État contrôle seulement les titres des directeurs et des maîtres, l’obligation scolaire, etc.). Ensuite, l’intégration dans l’enseignement public. Enfin, un lien contractuel avec l’État. Cette dernière situation se subdivise elle-même en deux sous-possibilités : à savoir, le contrat d’association, supposant un étroit assujettissement de l’enseignement privé à l’enseignement public, et le contrat simple, moins contraignant, l’État ne prenant ici en charge que les dépenses de personnel. La loi suscita une vive opposition laïque, laquelle s’est maintenue au moins jusqu’au début de la présidence Mitterrand, quand la gauche proposait de remplacer le système existant par un “grand service public unifié et laïque”. Les grandes manifestations de 1984 l’ont fait abandonner ce projet (échec de la “loi Savary”). Puis, à l’automne 1993 – dans l’autre sens, en quelque sorte –, la loi Bourg-Broc, consistant en une tentative de révision de l’article 69 de la loi Falloux de 1850 dans le but de subventionner les écoles privées proportionnellement à leur nombre d’élèves (par rapport à celui de l’enseignement public), a également avorté sans gloire : le Conseil constitutionnel a estimé que, étant donné les différences de cahiers des charges entre établissements publics et privés, une telle disposition violait le principe d’égalité. La manifestation de janvier 1994 a été aussi spectaculaire que celle qui, dix ans auparavant, avait soudé l’opposition contre la loi Savary.

La Laïcité, Que sais-je, PUF, 1996

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14 La lutte scolaire en France, p. 264 (cité par C.-A. Colliard, Libertés publiques, Paris, Dalloz, 7è éd., 1989, p. 471). Buisson, qui fut directeur de l’enseignement primaire jusqu’en 1896, publiera en 1912 un ouvrage intitulé : La foi laique.

15 Instructions de 1883, ibid.

16 Voir, sur ces points, H. Pena-Ruiz, Dieu et Marianne. Philosophie de la laïcité, Paris, PUF, 1999, p. 269 sq. Voir aussi deux ouvrages récemment parus : H. Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Gallimard (Folio-“Actuel”), 2003, et H.Pena-Ruiz (éd.), La laïcité (textes choisis et présentés), Paris, GF (“Corpus”), 2003.

17 Buisson est un personnage complexe. En fait, il s’est toujours opposé au cléricalisme. Mais quand, au début du 20ème siècle, des libres-penseurs ont interprété le principe de laïcité dans un sens antireligieux il dénonça l’imposition, sous prétexte de rationalisme, d’une “orthodoxie à rebours” (voir J.-M. Mayeur, La question laïque. 19ème-20ème siècles, Paris, Fayard, 1997, p. 82).

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