Marianne et le Prophète
Soheib Bencheikh – 1998
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Le musulman de France est appelé matin et soir à faire preuve de son adhésion à la laïcité, sans laquelle sa citoyenneté reste sujette à caution. Mais le premier obstacle auquel se heurte le musulman désirant s’adapter à la laïcité est l’imprécision du concept, ainsi que l’absence d’une définition faisant l’unanimité. Avec toute la bonne volonté possible, comment s’adapter à ce qu’on n’a pas encore identifié ? (…)
Plus exactement, il y a plusieurs définitions de la laïcité, mais aucune ne fait autorité. Au moment où tout le monde en France se réclame de la laïcité, les Français ne sont pas en mesure de fournir une définition identique. (…)
Certains voient dans cette imprécision une faille. En 1947, un an après la rédaction de la nouvelle Constitution, Jacques Maritain, lors de la lie conférence de l’Unesco, souligne l’absence d’une pensée spéculative et pratique commune, nécessaire pour la laïcité de demain. D’autres, au contraire, estiment que cette imprécision est un signe positif qui permet une évolution : la laïcité ne peut être définie une fois pour toutes. Elle est une réalité complexe et évolutive. (…)
La laïcité est-elle une philosophie ?
On présente parfois la laïcité comme une philosophie de la Vérité, ou comme une philosophie qui bâtit et justifie “le vivre-ensemble”.
La laïcité ne peut être une philosophie, dans le sens de système de pensée globale, et encore moins une philosophie qui s’oppose à d’autres. Elle ne peut présenter des affinités intellectuelles ou impliquer un choix existentiel. Elle doit être et demeurer un principe simple et évident.
Toute tentative d’érudition ou de construction intellectuelle et savante risque de briser ou de réduire le consensus sur lequel repose l’idée de laïcité, ou d’en proposer plusieurs qui s’opposent les unes aux autres, comme le veut la nature même des débats intellectuels. C’est pour cette raison qu’il faut préserver la simplicité de cette notion de laïcité, ou faire en sorte de la rendre simple et surtout accessible à tous.
Celui qui affirme que la laïcité est une philosophie lui donne, certes, une profondeur, mais lui raccourcit la vie. Tout le monde sait que les pensées philosophiques, quelle que soit leur profondeur, ne font que trois petits tours et puis s’en vont, à cause même de leur inaccessibilité à la masse des citoyens, ou à cause d’autres pensées qui ont eu plus d’impact sur le plan populaire ou populiste. L’histoire de la philosophie est une histoire parallèle à l’Histoire, elle la reflète et la motive (elle fournit des thèses à des antithèses ou des antithèses à des thèses, selon l’angle de vision). Nous ne pouvons aujourd’hui accepter que la laïcité, après l’exploit qu’elle a accompli et les promotions qu’elle fait miroiter, soit réduite à un simple motif dans une fresque incommensurable.
En Égypte, chaque fois que les docteurs les plus figés d’al-Azhar gagnent une cause contre un penseur, c’est parce qu’il a des argumentations inaccessibles, tandis que les cheikhs ont un discours simple, et captivant qui flatte la religiosité d’une population plus sentimentale que réfléchie. Devant l’enjeu, le pouvoir politique intervient avec son pragmatisme habituel pour donner raison aux plus suivis, les pseudo-gardiens de la Tradition. Cependant nul n’a songé qu’au lieu de se perdre dans l’érudition il fallait d’abord adopter un discours simple et concentrer toutes ses forces pour appeler à la neutralité de l’État afin de couper, aux geôliers de la réflexion religieuse, le bras séculier dont ils bénéficient. Alors tout viendra de lui-même.
Soheib Bencheikh, Marianne et le Prophète, 1998
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".