Le ras-le-bol des enseignants d’un collège rongé par la violence.
Soutenus par les élèves, les profs ont cessé le travail. Tutoyés, intimidés et insultés, les professeurs du collège Claude-Debussy d’Aulnay-sous-Bois ont décidé d’arrêter de faire cours, suite au “lynchage” de l’un d’entre eux en pleine cour de récréation, début février.
Claude-Debussy a posé le crayon. Depuis lundi, les professeurs de ce collège sensible, enchâssé entre les tours HLM des quartiers nord d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), refusent de faire cours en faisant valoir un droit de retrait. Ils invoquent une “mise en danger grave et immédiate” des personnels et des élèves. Leur établissement, un cube de béton gris délavé construit dans les années 70, est classé en zone d’éducation prioritaire (ZEP) et en “zone violence”. Selon le dernier bilan établi par l’administration, 90 % des 800 adolescents qui y sont scolarisés vivent aux limites du seuil de pauvreté. D’origine immigrée pour la plupart, ils ont souvent pour dernier repère familial un père en fin de droit, touchant le RMI ou encore une mère célibataire sans ressource.
“Nous tirons la sonnette d’alarme car cela fait trois ans que nos revendications sont restées lettre morte, lance Pascal, professeur de français âgé de 29 ans. Plus que jamais, nous nous sentons à l’abandon face à une violence devenue latente et des conditions d’enseignement tout à fait indécentes.” “Il ne se passe plus une journée sans que l’on respire l’odeur de bombe lacrymogène dans les couloirs et les salles de classe, renchérit Angela, une ses collègues âgée de 33 ans. Ces gazages quotidiens provoquent des mouvements de panique chez les élèves qui courent en criant dans l’obscurité car les ampoules sont souvent cassées. Les élèves, par groupes ingérables de 100 ou 200, s’engouffrent dans des goulets d’étranglements et des escaliers trop étroits…”
Au tutoiement régulier, aux intimidations et aux insultes incessantes qu’ils doivent essuyer à chaque instant, les enseignants voient désormais s’ajouter les agressions physiques. Pêle-mêle, ils témoignent du compas jeté récemment dans le dos d’un professeur, du doigt cassé d’un collègue qui tentait de s’interposer dans un pugilat, du pot de yaourt projeté sur un autre à la cantine ou encore d’un cahier de texte lancé à la figure d’un surveillant. “Dès la sixième, des enfants s’administrent des raclées et tapent leurs camarades de classe à coups de pied dans le ventre par simple jeu”, déplore Angela qui exprime son désarroi face aux “batailles organisées entre les classes”.
Le “lynchage”, dans la cour de récréation le 1er février, d’un membre de l’équipe éducative par une bande d’une dizaine de collégiens a été l’incident de trop. La victime molestée est encore sous le choc. “Huit élèves ont été mis à pied pendant une semaine, note, désabusée, une enseignante. Comme certains gros voyous que l’on nous demande de gérer, ils reviendront comme des héros et nargueront les adultes. Nous n’avons plus de moyens de sanctions : l’année dernière, nous avons organisé 29 conseils de discipline, contre seulement deux cette année…”
Interrogé par Le Figaro, Sébastien Peyrat, docteur en sciences de l’éducation menant une recherche sur le collège Debussy depuis septembre, pense de son côté que “l’établissement, situé au cœur de la cité, cristallise le malheureusement classique conflit de normes existant entre l’institution scolaire et certains jeunes. Ces derniers s’accrochent à leurs propres règles pour résoudre les conflits, fondés sur une violence physique et langagière”. “Nous en avons marre d’être traités comme des animaux dans des salles de classes qui ne sont pas chauffées et dont les plafonds menacent de nous tomber dessus”, affirme Tarik, élève de troisième qui, révolté, dit sa “solidarité avec les profs”. “Nous sommes lâchés par l’administration et des enseignants viennent saouls en classe”, soutient avec force Samia, une de ses camarades. Hier, la détresse était palpable aux portes du collège. Une des enseignantes allait jusqu’à dire : “Si j’avais un enfant, je ferai tout pour qu’il ne vienne pas croupir à Claude Debussy.” Une réunion de conciliation, regroupant personnel éducatif et responsables de l’inspection académique, est prévue ce matin pour sortir l’établissement de l’ornière.
Le Figaro, 10 février 2005
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Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".