Depuis 150 ans, les salariés et le peuple sont soumis au régime politique du despotisme “démocratique”. Dans les faits, c’est le régime des Devoirs de l’homme substitué à celui des Droits de l’homme. Sur le plan du droit positif cela se traduit par la primauté effective du Code Pénal sur le Code Civil. La règle pratique n’est plus “tout ce qui n’est pas interdit est autorisé” mais, à l’inverse, “tout ce qui n’est pas autorisé est interdit”. Seulement, nos juristes obtus et vicieux n’ont même pas la pudeur de refondre et simplifier tous les textes officiels, en prenant en compte ce retournement de toute la tradition civilisée dans le sens néo-barbare, qui caractérise l’état de choses actuel.
“On est quand même en démocratie, on a le droit de s’exprimer”, etc. ; c’est ce que chantent quelques naïfs inoffensifs, qui reprennent le refrain lancé par d’autres roublards redoutables. La seule chose sensée à tirer de ces insanités, c’est que le despotisme démocratique se soutient fondamentalement de lui-même jusqu’à ce qu’il craque, et que le peuple est endormi jusqu’à ce qu’il s’éveille.
Effectivement, le système en place du capitalisme parasitaire maintient spontanément le peuple dans un état d’humiliation et d’insécurité qui l’enferme dans l’impuissance et la désillusion. Faut-il pour autant idéaliser un tel ordre social lamentable ? Bredouiller “on est quand même en démocratie” ne peut signifier que deux choses : primo, “ça pourrait être pire”, donc je choisis de me taire et je suis fier d’être un lâche ; secundo, “ça ne pourrait guère être mieux”, donc je n’ai rien à dire, et je me vante d’être un abruti. Moralité à quatre sous : quel bonheur de ne pas se compter dans les “exclus” qui dorment dans les gares, ou parmi les “inclus” hébergés dans les prisons-Bouygues !
Ce qu’il y a de plus sérieux, c’est que le despotisme démocratique mène inéluctablement à une situation d’avant-guerre ou une situation pré-révolutionnaire où l’atmosphère “d’Union Sacrée” aidant alors, il sera réellement question à ce moment d’instaurer un “régime spécial de restriction des libertés”, prévu dans le Code. Ce jour-là, il y en aura toujours qui changeront de disque et viendront nous chanter “tout va très bien madame la marquise, soyons contents de rester entiers, d’autres se font trouer la peau”.
Notre fameuse liberté, c’est donc celle de ne pas broncher, et elle est consignée dans le Code Pénal. N’oublions pas cependant que le Code du Travail et le Droit Administratif confortent gaillardement le despotisme démocratique.
Les lumières, c’est-à-dire ce qui a vocation de former et informer nos petites têtes, c’est l’École et la Presse qui en revendiquent le privilège. Qu’est-ce que ça donne dans notre démocratie dictatoriale ? Étant entendu que ce que l’on désigne traditionnellement sous le nom de “presse” comprend de nos jours l’ensemble des “média”, télé en tête, dans l’état actuel, le couple École Presse n’a qu’une fonction : le viol des foules comme organe des ténèbres.
L’école présente est essentiellement une institution disciplinaire. La première discipline enseignée est “savoir se vendre”, la servilité et la duplicité. Pour remplir cette mission, l’école se fait le lieu où l’instruction tue l’intelligence ; elle se glorifie de se restreindre rigoureusement aux opérations de gavage, en vue du “diplôme”. C’est l’horrible “laïcité” qui signifie : dans nos murs, toute question de spiritualité, d’idéal, est interdite. L’école est donc un double de la “Grande Muette”, “neutre” comme la caserne vis-à-vis de toute pensée vivante authentique. C’est ce qui fait de l’école caporalisée un royaume “austère”, répulsif et fatiguant.
Heureusement existe l’autre foyer de lumière obscurantiste, presse et télé, royaume compensateur du “licencieux”, attractif et prodigue d’évasion.
Les Médias actuels sont essentiellement prostitués. C’est l’horrible “liberté” de l’information. D’abord, c’est le déluge “distrayant” de faits divers, chiens écrasés, incidents biographiques de “vedettes” en tous genres ; ceci enchaîne avec les “variétés”, où le porno alterne avec Cendrillon et les gangsters avec Zorro ; le clou du délassement est cependant avec le Mondial et la Roue de la Fortune. Mais c’est la fonction de manipulation idéologique qui est la mission fondamentale des média : au travers du flot intarissable des commérages de politicaillerie, il s’agit à la fois d’engluer la “masse” dans des considérations qui ne la concernent nullement, et de l’amener à “prendre parti” dans la guerre des gangs dominants. Diviser pour régner ! Diversion c’est domination !
Les conditions matérielles d’insécurité et d’humiliation qui sont faites au peuple dans le cadre actuel néo-barbare, ces conditions suffisent à paralyser à la base tout “droit” éventuel du peuple. Les conditions intellectuelles de ce même ordre, Presse vendue et École imbécile, ces conditions organisent le dévoiement de tout “droit” éventuel du peuple.
Resterait la seule issue de l’Association : c’est-à-dire que les personnes du peuple elles-mêmes, quoique dépourvues de temps, de culture et d’argent, fassent jouer le génie collectif pour faire percer quelque chose ressemblant à un “droit” du peuple. Mais c’est là que les choses deviennent sérieuses, ce que les tyrans “républicains” qui tiennent les commandes craignent comme la peste, ce qui les conduit à rappeler brutalement le peuple à ses “devoirs”, en soumettant le droit d’association aux conditions juridiques qui sont celles de l’État policier.
Mais le despotisme démocratique réussit ce tour de force qui consiste à nommer “droits” ce qu’il impose comme “devoirs” et, finalement, à n’avoir à montrer sa force que pour ne pas s’en servir car non seulement il autorise, mais encourage même toutes les associations possibles et imaginables, à la seule mais décisive condition qu’elles rendent un hommage préalable au Code Pénal. De telles associations, a priori “assermentées” au régime, peuvent alors fleurir à volonté : syndicats, partis, organisations humanitaires, etc. Il n’y a de limite à la débauche associative que le montant des subventions officielles et des dons de gens “qui comptent”, à se partager avec, à la clef, les sinécures de “permanents” et autres “planques” que procurent les “relations”. Dans ces conditions, l’association jugée dangereuse dans l’absolu, devient très avantageuse au despotisme démocratique : d’abord, s’agitant pour ne pas agir, s’adonnant à des simagrées qui “animent” l’ordre décadent, elle occupe le terrain social et représente un réseau de “kapos” dans la masse, qui donnent à chaque instant le niveau de la “température” qui y règne à la Préfecture de police ; ensuite, par la foire d’empoigne que l’association assermentée organise pour les postes de porte-serviettes et les livrées de laquais, la masse harcelée pour payer son timbre par des sectes concurrentes qui promettent de la “défendre”, se voit solidement rivée dans son impuissance.
La forme la plus élémentaire de l’association est la réunion. Le Code Pénal veille tout particulièrement à faire la chasse à ce qu’il nomme “réunion illicite”, “réunion séditieuse”. On nous dit : “Les réunions publiques sont libres sous conditions : les clubs interdits ; les réunions ne peuvent être tenues sur la voie publique. Réunions électorales : ne peuvent y assister que les électeurs de la circonscription ; elles ne peuvent se prolonger que jusqu’à l’heure fixée pour la fermeture des établissements publics. Chaque réunion doit avoir un bureau composé de trois personnes, responsables des infractions aux prescriptions suivantes : interdire tout discours contraire à l’ordre public. Un fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire peut être délégué par le préfet pour assister à la réunion : il choisit sa place. Est qualifié de “complot contre l’autorité de l’État, l’attentat dont le but aura été de changer le régime constitutionnel ; il y a complot dès que la résolution d’agir est concertée entre deux (!) personnes”. “Seront dissoutes toutes les associations qui auraient pour but d’attenter par la force à la forme républicaine de gouvernement, ou de faire échec au rétablissement de la légalité républicaine”. “Cris et chants séditieux proférés dans les lieux de réunion publics seront punis”. “Seront punies comme réunions de rebelles celles formées sans armes et accompagnées de menaces contre l’autorité administrative ou contre la force publique”. “Porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance sera puni”, “L’association de malfaiteurs est l’entente établie dans le but de préparer des crimes contre les personnes ou les propriétés, quelle que soit la durée ou le nombre de l’association, et cette entente n’exige pas le dessein spécialement formé de commettre un crime (!)”.
Est attentat la “Coalition de fonctionnaires concertant des mesures contre l’exécution des lois ou contre les ordres du gouvernement ; les fonctionnaires qui auront arrêté de donner des démissions dont l’objet serait d’empêcher l’accomplissement d’un service, seront coupables de forfaiture”. La “démoralisation de l’armée est atteinte à la défense nationale”.
Sont soumis à “obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés, rassemblements ; la déclaration indique le but de la manifestation, le lieu, la date, l’heure, l’itinéraire. Si l’autorité estime que la manifestation est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit”. “Sera punie toute provocation à un attroupement non armé, soit par discours, soit par écrits”. “Est interdit sur la voie publique ou dans un lieu public tout attroupement non armé qui pourrait troubler la tranquillité publique”. Sera puni qui “provoque à un rassemblement ayant pour objet la remise de pétitions aux assemblées parlementaires”. Est punie la “résistance, désobéissance ou autre manquements (!) envers l’autorité publique”. Il y a “crime de résistance envers la force publique” à “détourner les militaires de leurs devoirs et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs”. Il y a “crime de mouvement insurrectionnel : aider à faire des barricades, empêcher la réunion de la force publique, désarmement de la force publique.”
Le peuple étant privé de liberté et de lumières, l’association qui pourrait y remédier, si elle ne travaille pas à consolider le despotisme démocratique, étant immédiatement qualifiée d’association de malfaiteurs, “société secrète”, “menées anarchistes à réprimer”, le régime arrive à son but. Il se glorifie alors de ce que le cher monde libre accorde à tous le “droit d’expression”. Or, non seulement le système fait en sorte que nulle parole ne puisse se traduire en action mais “l’expression” même est conduite à se renfermer dans la pure liberté de conscience muette, qu’il n’est au pouvoir d’aucune dictature d’interdire ! La pensée purement passive et personnelle, dès qu’elle tente de devenir active et collective, doit prendre les formes perverses prévues par le régime.
L’individu privé, isolé, se trouve contraint à l’autocensure. Si sa pensée secrète contient un mécontentement, s’il s’aventure à “exprimer” effectivement ce dernier, il tombe immédiatement sous le coup : s’il s’agit de particuliers, de “diffamation” ou “injure” et, s’il s’agit de l’autorité publique “d’outrage”. L’auteur d’outrages envers les dépositaires de l’autorité et de la force publique, par paroles, gestes (!!), écrits ou dessins, non rendus publics (!!), visant tout officier ministériel ou agent de la force publique, sera puni”. Tout ceci ne peut évidemment que pousser à bout le pauvre particulier, à l’engager dans les “voies de fait” et se voir traiter de “forcené”.
Le même individu absolument isolé se trouve appelé à faire “acte de citoyen” dans le “secret de l’isoloir”, non plus contraint à l’autocensure cette fois, mais en pouvant se féliciter maintenant de pouvoir plébisciter le système de façon “franche et massive” ! S’il se trouve mécontent ensuite, n’est-ce pas lui qui est censé l’avoir voulu ! D’ailleurs, l’affichage tombe immédiatement sous le coup de “dégradation de monuments”; il est “interdit de distribuer des documents le jour du scrutin” ; et “seront punis ceux qui auront déterminé un (!) électeur à s’abstenir de voter.”
Église Réaliste, extrait de “L’Indigène et le Plébiscite”, 1995
________
Nous vous rappelons que nous vivons en pays occupé :
"Les murs ont des oreilles...".